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Nicolas Sarkozy attaque Jean-Louis Debré sur la Turquie

jeudi 10 février 2005, par Patrick Roger, Philippe Ridet

Le Monde - 10/02/2005

Le voyage à Ankara, organisé par le président de l’Assemblée nationale, a provoqué une violente passe d’armes au bureau du groupe UMP, mardi 8 février. « Un référendum, ça se gagne en France, pas en Turquie... », a lancé M. Sarkozy.
Explosif. Quand, à l’UMP, la question turque et la stratégie de démarquage de Nicolas Sarkozy vis-à-vis de Jacques Chirac se conjuguent, l’effet peut être détonant. C’est ce qui s’est produit, mardi 8 février, à l’Assemblée nationale. Médusés, les membres du bureau du groupe UMP ont assisté à un affrontement comme, de l’aveu de certains, « on n’en avait encore jamais vu depuis le début de la législature ».

Au centre de la passe d’armes : le président de l’Assemblée, Jean-Louis Debré, et le président de l’UMP, Nicolas Sarkozy. Et un sujet bien précis : la mission parlementaire que le premier a conduite en Turquie, du 3 au 5 février, en compagnie des présidents des quatre groupes de l’Assemblée.

M. Debré est convaincu d’avoir ainsi « fait �uvre utile » en restaurant une image écornée de la France en Turquie. Au passage, il a épinglé l’« irresponsabilité » de ceux qui s’opposent à M. Chirac sur la question de l’adhésion de la Turquie sans en maîtriser tous les ressorts. Premier visé, M. Sarkozy, pour qui, « si la Turquie était en Europe, ça se saurait ». Bref, M. Debré a rendu un fier service à M. Chirac.

Les messages reçus depuis son retour le confortent en ce sens, à commencer par celui du président de la République, qui l’a appelé dimanche matin. Lundi soir, M. Debré a invité les députés présents pour le débat sur les 35 heures à dîner à l’hôtel de Lassay. Il dit n’avoir reçu qu’encouragements et félicitations.

Il n’en a été que plus « cueilli à froid » par les critiques qui se sont exprimées, mardi, au bureau du groupe. La question est introduite par le président du groupe UMP, Bernard Accoyer, soucieux de dissiper les doutes qu’ont pu susciter ses propos tenus durant le séjour. Le député de Haute-Savoie a présenté le « partenariat privilégié », que l’UMP oppose à l’adhésion, comme « un choix pris à un moment donné et susceptible d’évoluer ». « Je n’ai pas changé de position, je rentre avec la même opinion que quand je suis parti », assure M. Accoyer. M. Debré encaisse, mais le pire est à venir.

Successivement, Françoise de Panafieu (Paris), Christian Estrosi (Alpes-Maritimes), Jacques Remiller (Isère), Hervé de Charette (Maine-et-Loire) et Pierre Méhaignerie (Ille-et-Vilaine) contestent l’« opportunité » de ce voyage en Turquie. « Ce n’était pas le moment de faire ce déplacement », estime Mme de Panafieu, invoquant les craintes que la question turque ne contribue à affaiblir le « oui » à la Constitution. M. Remiller parle de « trouble » et ajoute : « C’est Ayrault - le président du groupe PS - qui va tirer les marrons du feu. »

L’accusation d’avoir pris le risque, par cette initiative, de « se mettre en contradiction avec le chef de l’Etat », qui insiste pour déconnecter la question turque du traité européen, met M. Debré hors de lui. Il répond, d’abord, sur la Turquie : « Il y a deux attitudes possibles : soit on leur claque la porte au nez, soit on écoute et on parle avec un pays de 71 millions d’habitants, et dont la France est le premier investisseur... » M. Sarkozy tente d’intervenir : « Un référendum, ça se gagne en France, pas en Turquie... » « Moi, on ne m’interrompt pas. Tu parleras quand j’aurai fini ! », rétorque le président de l’Assemblée avant de poursuivre : « Ce qui est inopportun, c’est que, depuis deux ans, certains ne cessent d’agresser le président de la République et le gouvernement. » « Je fais tout pour calmer les choses », se défend M. Sarkozy. « Oui, après avoir voulu faire voter tout le monde », le reprend M. Debré. « Je ne dis pas qu’il faut claquer la porte aux Turcs, mais on ne peut pas avoir une Europe qui continue à s’élargir indéfiniment », plaide le président de l’UMP. « Il fallait t’en rendre compte plus tôt », réplique celui de l’Assemblée.

« ON NE VA PAS S’ENGUEULER ! »

M. Accoyer tente de calmer le jeu : « On ne va pas s’engueuler entre nous ! » Mais la deuxième salve s’annonce. M. de Charette ironise : « Si M. Debré veut se promener, c’est sa liberté. Mais s’il amène avec lui les présidents de groupe, c’est un acte politique. » Avant de poursuivre : « Vous n’avez pas voulu du débat sur la Turquie avant, vous l’aurez pendant le référendum. » Le président de l’Assemblée est critiqué pour avoir, « de l’étranger », attaqué directement M. Sarkozy, qu’il a qualifié d’« aventurier », l’accusant de « jouer avec les peurs des Français ». M. Méhaignerie dit avoir été « choqué ».

Alors, une deuxième fois, M. Debré s’emporte et lâche en direction du groupe, en référence au débat sur la Turquie organisé en octobre au Palais-Bourbon devant des bancs presque vides : « Moi, je suis parfaitement dans ma mission. Ce n’est pas votre présence dans l’Hémicycle qui a donné une image de sérieux ! »

Les proches de M. Sarkozy ne sont pas mécontents que se soient ainsi exprimées, dans le huis clos du bureau du groupe, certaines des récriminations à l’encontre du « clan chiraquien ». « Il s’est fait bobo tout seul », estime M. Estrosi à propos de M. Debré, jugeant « malheureuse son attitude à l’égard du président de notre mouvement, surtout quand on le fait bras dessus, bras dessous avec le président du groupe PS ». « La division ne viendra pas de nous », répète M. Estrosi. Mais, dans l’entourage de M. Debré, on se dit convaincu que l’« opération » de mardi avait été « organisée ».

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