En 2004, dans une région kurde, ils avaient tué un enfant et son père. Une commission parlementaire avait dénoncé une « lourde négligence ».
Malgré les réformes consenties dans le but d’intégrer l’Union européenne, la Turquie peine à conformer sa justice à celle d’un Etat de droit, comme en témoigne le procès qui s’est ouvert, lundi 21 février, devant la deuxième cour d’assises de Mardin, chef-lieu d’une région majoritairement peuplée de Kurdes, dans l’est du pays. L’audience s’est tenue en l’absence des principaux accusés, quatre policiers inculpés d’« usage excessif de la force » après la mort d’un garçon de 12 ans et de son père, abattus devant leur domicile le 21 novembre 2004.
Ce soir-là à Kiziltepe, un bourg non loin de la frontière syrienne, Ugur aidait son père, Ahmet, à charger un camion en vue d’un voyage en Irak, lorsque les forces de sécurité turques ont fait irruption. Des tirs ont suivi, le père et son fils sont morts, tués sous les balles des policiers. Selon les témoignages de proches recueillis sur place en novembre, le corps de l’enfant portait « treize impacts dans le dos ».
Kiziltepe, au cœur de la région kurde de Turquie, résonne encore des échos de la guerre (1984-1999) entre les séparatistes kurdes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et l’armée régulière d’Ankara, qui fit 35 000 morts, près de 3 millions de déplacés, et vit la destruction de 3 000 villages, pour la plupart incendiés et vidés par l’armée.
MANIFESTATIONS DE RUE
Au procès, les avocats des accusés absents ont mis en avant la légitime défense. « Ils avaient ouvert le feu contre nos clients. C’est lors de l’affrontement qu’Ahmet et Ugur Kaymaz ont perdu la vie », ont-ils plaidé, cités par l’agence de presse Anatolie.
Au lendemain des faits, le gouverneur de la province avait expliqué que « les deux terroristes présumés, armés de deux fusils d’assaut AK-47 et de deux grenades à main », étaient sur le point d’entreprendre « l’attaque des quartiers généraux de la police et de la gendarmerie ».
L’enquête diligentée par la commission des droits de l’homme du Parlement turc dit tout autre chose. Corroborant les treize impacts de balles dans le dos, la commission constate que « les personnes tuées et celles contre lesquelles une opération était menée n’étaient pas les mêmes ». Son président, Mehmet Elkatmis, a accusé les forces de l’ordre de « lourde négligence » lors des tirs qui ont tué Ahmet et son fils.
Signe de ce que les choses ont évolué, les déclarations de la commission ont été relayées. En novembre 2004 déjà, l’affaire avait été largement reprise par la presse. Le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, avait réclamé que toute la lumière soit faite. Fait exceptionnel : des représentants d’ONG, une députée européenne, Feleknas Uca (Verts, Allemagne), des parlementaires turcs ainsi que le représentant régional du parti pro-kurde Dehap, Tuncer Bakirhan, ont été autorisés à assister, lundi, à la première audience, sur fond de manifestations de rue et de dispositif sécuritaire.
A la requête des quatre policiers accusés, mutés dans d’autres régions, qui ont expliqué dans une lettre qu’ils craignaient pour leur sécurité, et suivant l’avis du ministère public, le tribunal a demandé la tenue du procès dans une autre localité pour raisons de sécurité. Mais il n’a pas accédé à la demande de la partie civile, favorable à une requalification du motif d’inculpation.