Logo de Turquie Européenne
Accueil > Revue de presse > Archives 2004 > 12 - Articles de décembre 2004 > Les Arméniens de Turquie en quête de reconnaissance

Les Arméniens de Turquie en quête de reconnaissance

jeudi 16 décembre 2004, par Marie-Michèle Martinet

Le Figaro - 15.12.2004
Le ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, a relancé hier la question du génocide arménien de 1915, précisant que Paris n’en faisait pas un préalable pour l’ouverture des négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE mais assurant qu’elle serait posée. « C’est une blessure qui ne cicatrice pas » et « c’est une question que la France va poser, car nous voulons une réponse », a-t-il déclaré hier à l’Assemblée nationale française.

Istanbul - Dans son bureau du journal arménien Agos, dont il est le rédacteur en chef, Hrant Dink s’énerve de cette tension qui monte, en France, à propos de l’Arménie et du génocide. Il y a quinze jours, il était à Marseille où il a rencontré les principaux responsables de la diaspora arménienne de France, ainsi que de nombreux élus. Il soupire : « J’ai passé ma vie en Turquie ; j’y ai vécu mon enfance. Je ne crois pas au rapport de force, mais plutôt au dialogue. Laissons d’abord s’ouvrir les négociations d’adhésion : c’est le meilleur moyen de développer la démocratie en Turquie. »

La position de Hrant Dink est diamétralement opposée à celle de la diaspora de France qui considère que la reconnaissance par Ankara du génocide perpétré, en 1915, par l’Empire ottoman, constitue un préalable à toute négociation. Selon Michel Guévidian, président du Conseil de coordination des organisations arméniennes de France, les chefs d’Etat européens commettront une « gaffe monumentale » s’ils acceptent demain de donner le feu vert à l’ouverture des négociations d’adhésion.

Le quotidien Agos est publié à Istanbul en arménien et en turc. A son retour de France, au début du mois, Hrant Dink a voulu rappeler les Arméniens de France à la raison : « Ils sont devenus aveugles et n’agissent qu’en fonction de leurs émotions.Ils croient que la Turquie est incapable de changer... mais tout peut changer dans le monde ! Et ce n’est pas en fermant la porte que l’on règle les problèmes, bien au contraire. »

Au passage, il tente de convaincre l’opinion publique française de se montrer moins frileuse : « Les Français ne me semblent pas prêts à accepter, sur le fond, le principe de la diversité culturelle. Dans leurs relations avec le monde musulman, on dirait que l’histoire s’est arrêtée, pour eux, avec la guerre d’Algérie... »

Au sein de la minorité chrétienne vivant en Turquie, les Arméniens, qui comptaient 2 millions de personnes à la fin du XIXe siècle, ne sont plus que près de 70 000 aujourd’hui. Leur statut, fixé en 1923 par le traité de Lausanne, fait partie des tabous de la société turque, où nombreux sont ceux qui, notamment parmi les nationalistes radicaux, considèrent que la notion de minorité est synonyme de menace pour l’intégrité du pays.

La présentation, à l’automne dernier, d’un rapport sur les droits des minorités, élaboré à la demande du gouvernement, a été ainsi l’occasion de mesurer les limites que certains voudraient imposer à l’exercice de la démocratie : au moment où le président de la commission prenait la parole pour rendre compte des observations de son groupe de réflexion, proposant notamment que des amendements constitutionnels et législatifs en faveur des minorités, un syndicaliste nationaliste lui a arraché son texte des mains et l’a déchiré devant les caméras de télévision en hurlant : « Ce rapport a été fabriqué de toutes pièces ! » Quelques jours après l’incident, le ministre de la Justice, Cemil Cicek, précisait que « la Turquie et l’Union européenne ne parlent pas la même langue » quand il s’agit des minorités et qu’il n’était pas question d’engager « un débat qui mettrait en cause l’unité du pays ».

Il n’empêche. En dépit de multiples résistances, la glace a commencé à fondre entre l’Etat turc et les communautés minoritaires sous l’influence de l’UE et des associations de défense des droits de l’homme. Le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, vient lui-même de lever un immense tabou : il a été le premier homme politique turc à évoquer récemment le génocide de 1915 sans l’englober, comme c’était jusqu’à maintenant l’usage, dans la formule turque consacrée de « soi-disant génocide de 1915 ».

La communauté arménienne a bien enregistré le message : « Les choses changent, souligne Hrant Dink. Prenons un exemple : depuis deux ou trois ans, quand il s’agit de restaurer une église, on attend moins longtemps pour obtenir les autorisations obligatoires avant d’engager des travaux. Les démarches bureaucratiques sont moins lourdes. » Ce qui n’est pas une mince affaire puisque la Turquie compte encore plus d’une cinquantaine d’églises arméniennes sur son territoire ; et à peu près autant d’écoles.

Les relations diplomatiques, officiellement au point mort entre la Turquie et l’Arménie, avancent discrètement. « Il suffirait d’un geste de bonne volonté de la Turquie pour que les Arméniens acceptent de tourner la page. Les deux pays sont prêts à la réconciliation », observe Anne-Birgitte Albrectsen, qui représente l’UNFPA, la mission des Nations unies en Azerbaïdjan, Géorgie et Arménie. Hrant Dink reste cependant inquiet. Il veut encore une fois rappeler l’enjeu capital du sommet de Bruxelles. Un refus pourrait, selon lui, provoquer un recul catastrophique : « Ce serait une grande défaite pour les démocrates de Turquie ; et pour la démocratie en général. Et quelles seraient les conséquences pour l’Arménie d’une Turquie repliée sur elle-même ? »

Télécharger au format PDFTélécharger le texte de l'article au format PDF

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0