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La perspective d’intégration dans l’Union fonde un nouveau concept de l’état turc

dimanche 19 décembre 2004, par Nicole Pope

Le Monde - 18/12/2004

Le 17 décembre est une date que la plupart des Turcs attendent depuis des mois avec un mélange d’enthousiasme et d’anxiété. Leur pays est à un tournant de son histoire, et ils en sont conscients.

La perspective d’adhésion à l’Union européenne (UE) est l’aboutissement d’une politique d’occidentalisation, qui avait débuté vers le milieu du XIXe siècle, s’était confirmée avec l’avènement de la république laïque d’Ataturk, et a pris un nouvel essor ces dernières années avec la mise en place de réformes démocratiques pour remplir les critères d’adhésion.

Pourtant, l’atmosphère n’est pas à l’euphorie. Les pourparlers se poursuivent à Bruxelles, et la Turquie devra franchir plusieurs des « lignes rouges » qu’elle s’était fixées pour entamer les négociations officielles. Mais elle a obtenu la date précise - le 3 octobre - et la perspective d’adhésion à part entière qu’elle attendait.

C’est sur ces points positifs que la Bourse d’Istanbul a basé l’envolée de son index, qui a franchi un nouveau record le 16 décembre. Mais l’optimisme reste prudent : le ton du débat en Europe ces dernières semaines et les exigences du Conseil européen indiquent d’ores et déjà que les tractations seront longues et ardues.

Chypre ne faisait pas partie des critères officiels, mais c’est sur sa reconnaissance que le marchandage est le plus serré. C’est également sur ce point que le premier ministre turc a la marge de manœuvre la plus limitée. Recep Tayyip Erdogan a imposé une volte-face à la politique turque sur Chypre en approuvant le plan Annan en mars 2003, au prix de compromis que de nombreux nationalistes estiment excessifs. Il avait pris un risque politique considérable. De nombreux Turcs sont frustrés-et estiment que les Européens leur font aujourd’hui payer l’échec de la réunification de l’île, due au rejet des Chypriotes grecs lors du référendum en avril.

Une formule acceptable sera vraisemblablement trouvée à la dernière minute, mais il est clair que l’accord conclu à Bruxelles aura des aspects déplaisants pour la Turquie. « Tout dépend de la façon dont les médias vont présenter l’affaire. Ils pourraient affecter l’opinion publique, estime l’industriel Ishak Alaton. Mais les changements en Turquie sont irréversibles. C’est actuellement notre capital le plus important. Les réformes vont continuer, mais une déception à Bruxelles causerait des turbulences. »

On peut s’attendre à des débats houleux en Turquie au cours du processus d’adhésion, qui va causer des réactions nationalistes, notamment lorsque des sujets délicats tels que les droits des minorités seront évoqués. La définition même de minorité, qui est limitée aux communautés non musulmanes en Turquie, demeure très différente de celles des Européens.

« C’est un peu comme un lifting facial. Cela va être douloureux, nous ne serons pas très beaux pendant un certain temps, mais nous allons émerger avec un visage très différent », explique Dogu Ergil, professeur de science politique à l’université d’Ankara.

Quelles que soient les difficultés rencontrées en chemin, c’est une transformation profonde qui est en train de s’opérer en Turquie. Les demandes de l’UE sont souvent critiquées, mais les normes européennes - économiques et politiques - sont désormais les points de référence en Turquie. Les attentes de la population, et celles des milieux des affaires, qui espèrent que la visibilité politique à long terme va attirer les investisseurs étrangers, sont fixées sur l’UE. « Tout le monde attend de l’adhésion à l’UE quelque chose de positif. L’AKP -Parti de la justice et du développement, au pouvoir- a adopté la vocation européenne comme une plate-forme permettant d’unifier des secteurs très divers, voire opposés, de la société, affirme Dogu Ergil. Nous assistons à la construction d’un nouveau concept de l’Etat. »

En quelques années, la société civile a pris son essor. Il lui reste du chemin à faire pour arriver au niveau d’influence des organisations non gouvernementales en Europe, mais un profond changement de mentalité est en cours : les Turcs ne comptent plus sur devlet baba - l’Etat paternaliste - pour régler leurs problèmes. Ils revendiquent et ils s’organisent. On l’a vu notamment durant la préparation du nouveau code pénal, qui a été modifié sous la pression des organisations féministes.

La Turquie a de bonnes raisons d’être optimiste pour l’avenir : si tout se passe bien à Bruxelles, elle va démarrer l’année 2005 avec la perspective d’adhérer à l’UE, avec un nouveu crédit du Fonds monétaire international, qui apportera 10 milliards de dollars (7,6 milliards d’euros) pour achever la restructuration de son économie, et avec une nouvelle devise nationale débarrassée de six zéros encombrants. Bref, c’est une nouvelle page qui s’ouvre devant elle.

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