Le rapport du commissaire à l’élargissement, qui doit être rendu public le 6 octobre, table sur une « convergence » avec l’Union européenne en matière de libertés publiques.
Torture, droits de l’homme, rôle des militaires, libertés civiles, la Commission dresse un bilan mitigé des « progrès de la Turquie vers l’adhésion » à l’Union européenne dans le rapport à paraître mercredi 6 octobre. Dans ce document, dont Le Monde a obtenu une copie, Bruxelles note « une convergence institutionnelle substantielle vers les standards européens », en particulier depuis 2002 et l’arrivée au pouvoir de l’islamiste modéré Recep Tayyip Erdogan. Malgré les réformes menées tambour battant, les services de Günter Verheugen, le commissaire à l’élargissement, relèvent aussi de multiples et sérieuses imperfections dans la mise en œuvre des changements. Cette analyse et le rapport d’impact doivent servir de base à la recommandation que la Commission veut dévoiler la semaine prochaine sur les négociations d’adhésion avec Ankara.
La question de la torture demeure un sujet de préoccupation. « Bien que la torture ne soit plus systématique, plusieurs cas de torture et de mauvais traitement, en particulier, continuent de se produire et des efforts supplémentaires seront nécessaires pour éradiquer de telles pratiques », note la commission. « Des efforts considérables ont été faits pour renforcer la lutte » contre ces actes, ajoute-t-elle. Les autorités ont adopté une politique de tolérance zéro. Au premier semestre 2004, l’association turque Droits de l’homme a reçu, d’après l’état des lieux présenté par la Commission, 692 plaintes pour torture, soit une baisse de 29 % par rapport aux six premiers mois de 2003.
« Néanmoins, le nombre de plaintes pour torture en dehors des centres de détentions officiels a augmenté considérablement dans la même période », est-il précisé, sans chiffre. Le gouvernement cherche à réduire l’impunité dont ont longtemps bénéficié les auteurs d’actes de torture, mais « les procureurs ne conduisent pas toujours promptement et de manière idoine les investigations contre les fonctionnaires accusés de torture ».
SITUATION DES KURDES
Même constat mitigé à propos du rôle des militaires. « Les forces armées continuent d’exercer une influence à travers une série de canaux informels », « des civils peuvent être jugés devant des tribunaux militaires pour certains crimes », relève l’exécutif européen. Ce dernier note néanmoins que « les missions, le fonctionnement et la composition du Conseil national de sécurité ont changé » : pour la première fois, en août 2004, un civil a été nommé secrétaire général de cette courroie de transmission entre l’armée et le gouvernement.
La Commission met en avant « les changements importants apportés au système judiciaire ». La peine de mort a été abolie. Les cours de sécurité de l’Etat ont disparu. Un nouveau code civil a été adopté. La réforme du code pénal vient d’être votée et doit entrer en vigueur au printemps 2005. « Il demeure une interprétation restrictive des réformes, en particulier par les procureurs », indique le rapport.
S’agissant des droits des minorités, « il y a encore de considérables restrictions à l’exercice des droits culturels, bien que des progrès aient eu lieu », note le rapport. La situation des Kurdes s’est améliorée. Leurs droits sont davantage reconnus : l’utilisation de la langue kurde n’est plus interdite, les émissions et les cours en kurde sont autorisés.
La Commission s’inquiète également de la lenteur des progrès en matière de liberté religieuse, un principe garanti par la Constitution. Les communautés non musulmanes, très minoritaires, « continuent de buter sur des obstacles », comme le manque de statut juridique, des droits de propriété restreints, et le contrôle des fondations par les autorités. « Une législation appropriée devrait être adoptée pour remédier à ces difficultés », ajoute Bruxelles. Un dialogue a été instauré avec les autorités, « mais il n’a à ce jour pas produit de résultats pratiques ».
Sur le plan des libertés civiles, la Commission considère que beaucoup reste à faire. En dépit des progrès réalisés, « des rapports suggèrent que les défenseurs des droits de l’homme restent l’objet de harcèlement judiciaire ». La liberté de la presse existe, même si « la fréquence des procédures judiciaires contre des journalistes est une source de préoccupation », ajoute le rapport. La liberté d’expression a beaucoup progressé. Mais « des particuliers ont été récemment emprisonnés après avoir exprimé une opinion dans la presse ». Dans ce domaine également, « l’impact des réformes n’a pas été uniforme à travers le pays ».
Enfin, la lutte contre les discriminations demeure insuffisante. « La discrimination et les violences domestiques restent un problème majeur », dit le rapport : « Beaucoup de femmes sont sujettes à différentes formes de violences physiques et psychologiques au sein de la famille : abus sexuels, mariages forcés et précoces, mariages religieux illégaux, polygamie, trafic et crimes d’honneur. »