Diabolisée par ses opposants et souvent méconnue, l’Union européenne reste un bloc énigmatique en Turquie qui, à son tour, s’efforce de redorer son image auprès d’une opinion publique européenne loin d’être convaincue du bien-fondé de son éventuelle adhésion à l’Union.
Les dirigeants turcs ont beau répéter inlassablement que l’UE est un objectif national, les Turcs, même majoritairement favorables à une adhésion à l’Union, ne connaissent pas ou peu ce club fondé sur des valeurs démocratiques communes.
Selon un récent sondage, quelque 75% des Turcs affirment vouloir devenir des citoyens européens, mais essentiellement pour des raisons économiques.
« La connaissance de la Turquie en Europe est minimale », affirme un diplomate européen à Ankara, qui estime que les opinions publiques turque et européenne sont « appréhensives » l’une de l’autre.
Et d’ajouter qu’il incombe aux nations de l’UE d’entamer un « véritable débat » au sujet de l’adhésion turque et de ses enjeux après le feu vert donné la semaine dernière par la Commision européenne à l’ouverture des négociations d’adhésion avec Ankara.
Les dirigeants européens décideront de la suite à donner à cette recommandation en décembre.
En Turquie, pays musulman de plus de 70 millions d’habitants, le thème de l’UE, qui était jusque là réservé aux cercles officiels et à un groupe limité de spécialistes, est devenu ces derniers mois le sujet de prédilection des débats télévisés.
Les eurosceptiques turcs affirment que l’UE va, à terme, sonner le glas du caractère unitaire de la Turquie en renforçant les droits des minorités, en particulier ceux des Kurdes.
Les partisans de l’adhésion rétorquent que l’entrée de la Turquie dans l’Union va sceller l’« harmonie » entre les cultures chrétiennes et musulmanes.
« Tout le monde en parle : dans les taxis, chez le coiffeur ou chez l’épicier du coin. C’est très bien », indique Ahmet Sever, qui est à la tête d’une institution gouvernementale chargée de la promotion de la candidature turque.
Il estime qu’il est temps de procéder à un « changement de mentalités dans les deux camps », en Turquie et en Europe, déplorant les « préjugés » et les « jugements négatifs » contre son pays parmi les nations européennes, en particulier celles qui accueillent des travailleurs turcs.
L’Europe de l’Ouest a en effet connu trois vagues d’immigration en provenance de Turquie.
La première remonte aux années 1960 lorsque les travailleurs turcs, les « gastarbeiter », affluent vers une Allemagne en pénurie de main d’œuvre.
La deuxième, consécutive au putsch de 1980, est constituée en particulier de réfugiés politiques fuyant le régime militaire, Les combats opposant l’armée turque et les rebelles kurdes séparatistes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le sud-est anatolien entre 1984 et 1999 poussent sur la route de l’exil une troisième vague de migrants, principalement kurdes et syriaques (minorité chrétienne).
S’ajoutent à ces courants migratoires le flux important de femmes et d’enfants entretenu par les procédures de regroupement familial.
Le peu d’empressement des émigrés économiques à intégrer leur société d’accueil et les histoires d’oppression et de persécution véhiculées par les migrants politiques ont modelé la vision de la Turquie chez les Européens.
« La Turquie, ce n’est pas cela ; nous leur expliquons les réformes, les progrès réalisés », souligne M. Sever, qui accuse les hommes politiques européens opposés à l’adhésion turque de vouloir « exploiter » le problème d’intégration des Turcs.
Il indique aussi que la promotion de la Turquie aujourd’hui ne passe plus par les traditionnels « loukoums, kebabs et danses folkloriques » mais fait l’objet de campagnes modernes, par le biais de fondations et d’ONG oeuvrant pour l’intégration de la Turquie à l’UE.