Députée européenne UMP, vous avez tenu des réunions pour défendre la Constitution européenne. Les personnes que vous avez rencontrées sont-elles préoccupées par la question turque et comment s’expriment-elles sur cette dernière ?
Le sujet revient quasiment à chaque fois. Il m’est arrivé, deux ou trois fois, de ne pas en parler, mais ce n’est pas une solution : les gens ont alors l’impression que j’esquive un thème délicat. J’ai dû m’employer à canaliser des débordements sur le mode xénophobe ou raciste, en expliquant que le problème posé est bien celui de la construction politique de l’Europe : la Turquie serait peuplée de chrétiens, le problème demeurerait entier ! Or, pour certains, c’est comme si l’on cherchait à instiller un corps étranger dans une Union européenne qui a certaines valeurs. Au-delà, le sentiment qui revient le plus souvent est celui du piège. C’est l’idée qu’on serait entré dans un processus inéluctable. Lorsque j’explique que le traité constitutionnel est un moyen d’empêcher l’adhésion de la Turquie, certains ne me croient pas.
Comment expliquez-vous cette hostilité, très forte dans l’électorat de droite, et dans quelle mesure le critère de la religion joue-t-il ?
Les mythes d’universalité et de puissance, sur lesquels s’est bâtie la France, sont bouleversés. Il en résulte un sentiment de perte d’identité. S’est développée l’idée que l’Europe allait ajouter une dose d’impuissance supplémentaire au politique. La Turquie apparaît comme le paradigme de ces peurs. La question de la religion dépasse largement la question turque. L’absence de référence aux racines chrétiennes de l’Europe est aussi une interpellation récurrente. Cela montre que c’est le sentiment de la perte des repères qui est fondamental dans cette appréhension.
La position de Jacques Chirac, favorable à l’adhésion de la Turquie, peut-elle perturber la campagne en faveur du « oui » ?
Jacques Chirac, et c’est sa force, raisonne en homme d’Etat qui a une vision globale et à très long terme d’un monde multipolaire. Mais nous, les soutiers de la Constitution, nous expliquons au jour le jour la nécessité de la construction d’une Europe politique du quotidien. Dans l’état actuel, cet approfondissement est incompatible avec l’élargissement à la Turquie. Les deux visions se rencontreront peut-être un jour, mais probablement pas en ce siècle.