Les tirs croisés chiraquiens ont atteint leur objectif : Nicolas Sarkozy est disposé à « calmer le jeu » avec l’Elysée sur la Turquie. Il l’a dit hier à Nanterre, en marge de la présentation de son projet pour les Hauts-de-Seine (lire ci-dessous). Le conseil national de l’UMP confirmera son opposition à la candidature d’Ankara le 6 mars, mais la question turque sera noyée dans une motion de « synthèse » en faveur du oui au référendum constitutionnel et d’une « Europe puissance », les deux autres sujets sur lesquels Sarkozy voulait consulter le « parlement » du parti.
En expliquant ce nouveau dispositif, le patron de l’UMP s’est défendu d’avoir « reculé » sous la pression chiraquienne. « Si un texte unique est moins agressif que trois questions séparées, ça ne me gêne nullement, a-t-il affirmé, mais la question de la Turquie sera bien sûr dans ce texte. » Il a même ajouté en confidence que les mises en garde publiques des Debré, Villepin et consorts contre « ceux qui créeraient la confusion » entre le débat sur la Constitution et celui sur la Turquie l’encourageraient plutôt à « continuer et à accélérer » dans la voie de l’émancipation du parti vis-à-vis de l’exécutif.
Nicolas Sarkozy estime que le renouvellement du conseil national, élargi à des délégués de circonscription élus par les militants, justifie à lui seul un nouveau vote sur la candidature turque. « Ou sinon, a-t-il ironisé hier, on peut aussi décider qu’il est inutile de refaire voter les Français en 2007, puisqu’ils ont déjà élu un président en 2002 ! »
Les sarkozystes, au premier rang desquels Brice Hortefeux, appuient le discours de leur chef en expliquant que son ralliement à un vote global est un « geste d’ouverture qui ne change strictement rien sur le fond ». « Notre seul objectif, ajoute le secrétaire général délégué de l’UMP, c’est d’éviter que le non à la Turquie s’exprime par un non au traité constitutionnel. »
Une réponse indirecte aux accusations tout aussi indirectes des chiraquiens, qui soupçonnent Nicolas Sarkozy d’œuvrer en sous-main pour l’échec du référendum voulu par le chef de l’Etat. Bien que le président de l’UMP s’en défende, c’est le succès de cette thèse, relayée hier par Le Nouvel Observateur, qui l’a contraint à renoncer à un vote antiturc. Les sarkozystes s’en inquiétaient déjà la semaine dernière. Mardi matin, lors d’un petit déjeuner qui réunissait les principaux responsables du parti, Jean-Claude Gaudin est revenu à la charge en répétant à Nicolas Sarkozy ce que François Baroin lui avait déjà dit en tête à tête : « Un vote séparé sur la Turquie alimenterait la campagne sur ton double jeu. »
Le lendemain, le président de l’UMP a profité du petit déjeuner hebdomadaire de Matignon pour annoncer à Jean-Pierre Raffarin sa décision de soumettre un texte unique au vote des militants. « On est des pacificateurs, affirme un sarkozyste. Notre objectif n’est absolument pas d’humilier Chirac, que ce soit devant l’UMP ou à l’Assemblée nationale. La preuve : nous participons activement à la recherche d’un compromis entre Edouard Balladur et le gouvernement. »
L’« affaire » Balladur, volet parlementaire du problème turc, était également au menu du petit déjeuner de Matignon mercredi. L’ex-premier ministre a déposé un amendement qui vise à permettre à l’Assemblée nationale d’exercer un droit de contrôle en matière européenne. Le garde des Sceaux, Dominique Perben, s’y est fermement opposé, sur consigne de l’Elysée. Mercredi matin, Jean-Pierre Raffarin a promis à Nicolas Sarkozy qu’il répondrait personnellement à Edouard Balladur, eu égard à son rang, et qu’il ferait un geste « politiquement fort » en prenant l’« engagement solennel » d’associer le Parlement aux négociations entre Bruxelles et Ankara.
Quand et comment ? C’est ce que le premier ministre devait préciser hier en fin d’après-midi à Edouard Balladur, qu’il recevait à Matignon. Nicolas Sarkozy a expliqué publiquement que s’il jugeait « légitimes » les motivations de son ancien mentor, il ne le soutiendrait pas « sans qu’un accord soit trouvé avec l’exécutif ».
L’apaisement en cours sur le front parlementaire et au parti a déjà pour effet de galvaniser les partisans du non au référendum au sein de l’UMP. Leur chef de file, Nicolas Dupont-Aignan, assurait hier qu’en réunissant dans un même texte le référendum et la question turque, Nicolas Sarkozy apportait de l’eau à son moulin. « Je n’ai cessé de dire que rejeter le traité constitutionnel est le seul moyen d’empêcher l’adhésion de la Turquie, dit-il. Je vais donc pouvoir déposer une motion unique contre la motion unique de la direction, et le conseil national tranchera. » Voilà qui promet de l’ambiance le 6 mars à l’UMP.