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Europe

Religieux et laïcs s’affrontent dans les universités turques

mercredi 26 octobre 2005, par Marie-Michèle Martinet

Le Figaro 26 octobre 2005

TURQUIE L’arrestation du recteur de l’université de Van, Yücel Askin, à la mi-octobre, provoque la division du pays sur la question religieuse

LA RENTRÉE UNIVERSITAIRE a donné lieu, en Turquie, à de nouvelles et violentes passes d’armes opposant les républicains laïcs au gouvernement islamo-conservateur. L’arrestation du recteur de l’université de Van, le professeur Yücel Askin, a été suivie d’un large mouvement de solidarité : soixante-douze de ses confrères, réunis en comité de soutien, n’hésitent pas à dénoncer une tentative de noyautage de l’administration universitaire par les milieux islamistes.

L’affaire a éclaté après l’arrestation du recteur Yücel Askin, accusé « d’association de malfaiteurs », dans une affaire liée à l’adjudication irrégulière d’achat de matériel médical. Le professeur Askin, dont l’appartement avait été perquisitionné en son absence, en juillet, est mis sous les verrous à la mi-octobre sur la base de la « probabilité de fuite et dissimulation de preuves ». Cette incarcération provoque l’indignation de ses confrères. Réunis en comité de soutien, ils s’insurgent contre les mauvais traitements infligés, selon eux, à Yücel Askin, qui serait victime d’un complot. De son côté, la presse relève certaines anomalies dans le déroulement de l’enquête. Selon le quotidien Hürriyet, « l’adjudication en question avait eu lieu un an avant que le recteur Askin n’arrive à son poste et toutes les preuves étaient déjà aux mains de la justice ». Et d’arriver à cette conclusion : « Cette arrestation fait partie de la guerre lancée par le gouvernement contre les universités. »

Toujours dans Hürriyet, le journaliste Tufan Türenç fournit une explication aux mésaventures du recteur : « Yücel Askin a été pris pour cible parce qu’il se battait contre l’implantation des groupes religieux radicaux dans son université. Sinon, l’université de Van serait devenue un bastion fondamentaliste », précise Tufan Türenç, qui rappelle la forte présence des confréries religieuses dans cette ville du sud-est située tout près des frontières de l’Irak et de l’Iran.

Des élèves issus des « imam hatip »

Le puissant Conseil de l’enseignement supérieur (YÖK) est également monté au créneau par la voix de son président : « Soutenir le recteur Askin signifie soutenir la République », a tranché Erdogan Teziç, qui a rendu visite au prisonnier, dimanche à Van, où il s’est fait bousculer par des manifestants l’accusant d’être « ennemi de Dieu ».

Une fois encore, la question religieuse divise donc la Turquie. Et c’est toujours autour de l’éducation que se focalisent les exaspérations. L’année dernière, un tollé avait accueilli une proposition visant à lever les restrictions pesant sur l’accès aux universités des élèves issus des imam hatip, ces écoles religieuses accusées d’être des pépinières du radicalisme islamique. Régulièrement, pour cette même raison, les projets de loi avancés par le gouvernement en faveur de l’enseignement privé sont battus en brèche par les tenants de la laïcité, accusés en retour de bloquer le système et de politiser le débat, comme l’a récemment déclaré le ministre de la Justice, Cemil Cicek, qui reproche aux recteurs de « dresser les institutions de la République les unes contre les autres ».

Ces mêmes recteurs seront au nombre des invités de la réception prévue samedi prochain, à Ankara, au palais présidentiel de Çankaya. L’invitation lancée par le président Ahmet Necdet Sezer, attaché aux valeurs de la république laïque, sonne déjà, aux yeux de nombreux observateurs, comme un désaveu du gouvernement de Recep Tayyip Erdogan. Cependant, ce conflit universitaire devenu éminemment politique, qui divise deux tendances irréconciliables en Turquie, pose une autre question : celle de l’indépendance de la justice. A ce sujet, le président du barreau de Turquie, Ozdemir Ozok, estime qu’il serait temps d’engager une réforme judiciaire de fond qui permettrait de séparer définitivement, à l’heure où Ankara entame ses négociations d’adhésion à l’Union européenne, le pouvoir judiciaire du pouvoir politique.

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