Attention, pas touche, vache sacrée ! Qu’on la baptise « aménagement » ou « toilettage », le duo exécutif ne veut pas entendre parler de la moindre modification de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat. Au vu de l’ambiguïté née de l’annonce par Nicolas Sarkozy de la création d’une Commission de réflexion juridique à ce sujet, Dominique de Villepin a dû faire acte d’autorité. Il a cru bon de rappeler hier après-midi, par communiqué, que la « modification » de ce texte qui est « l’un des piliers de notre pacte républicain [...] n’est pas à l’ordre du jour ». Surtout, le Premier ministre a souligné que « toute réflexion » de la future commission de quinze membres, dont Sarkozy a confié la présidence au professeur de droit Jean-Pierre Machelon, « devrait s’inscrire dans le strict respect de la loi » actuelle. Dominique de Villepin se place ainsi dans le droit fil de la position de Jacques Chirac, qui répète que la loi de 1905, « pilier de notre temple républicain », est intouchable. « C’est la position du Président et du chef du gouvernement et elle s’impose à l’ensemble du gouvernement », répète-on à Matignon, où l’on souligne que la« grande majorité des religions » ne souhaite pas de modification du texte (lire page suivante).
Capitaux. Nicolas Sarkozy s’y pliera-t-il ? Après avoir ouvert le feu il y a un an dans un livre, les Religions, la République, l’Espérance, le locataire de la Place Beauvau se dit soucieux de respecter les « grands équilibres de la laïcité à la française ». Mais il n’a pas renoncé à « amender »la loi de 1905. Au contraire. Répétant qu’« il n’y a pas de sujet tabou », le numéro 2 du gouvernement, rallié hier par Edouard Balladur, souhaite « adapter » le texte, notamment pour permettre à l’Etat et aux collectivités locales de financer, par exemple par des garanties d’emprunts, la construction de lieux de culte. Ceci, en particulier, afin d’éviter l’afflux de capitaux étrangers pour édifier des mosquées. Raison pour laquelle Sarkozy entend autoriser la commission Machelon à lui soumettre, en juin, des suggestions de modifications législatives. « Tout est ouvert », répète-t-on dans l’entourage du ministre.
Avec le trio divisé Sarkozy-Villepin-Chirac à la manœuvre, et les concepts de République, laïcité et islam en jeu, le sujet a décidément tout pour devenir l’une de ces foires d’empoigne idéologique dont raffole le débat politique hexagonal. A la fois échauffement de la compétition présidentielle et match retour de la polémique sur le voile qui avait enflammé l’année 2003 jusqu’à l’adoption de la loi du 15 mars 2004 « relative à l’application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics ». D’autant que la gauche, en mal de repères identitaires, devrait s’en emparer pour tenter de se refaire une santé. Et gratter les plaies internes à la droite. Hier, sur Radio J, le premier secrétaire du PS, François Hollande, a ainsi jugé la « situation » de la majorité « illisible ». « Il n’y a plus d’autorité de l’Etat, plus de règles dans la République quand, à son sommet, les personnes les plus autorisées à s’exprimer disent exactement le contraire les unes des autres, a-t-il lancé. Cette situation ne peut pas continuer, y compris pour les religions concernées. » Sur le fond, le député de Corrèze estime, comme la plupart de ses camarades, qu’une réforme de la loi n’est pas nécessaire. Selon lui, les problèmes liés à la construction de lieux de culte peuvent être résolus autrement que par la voie législative. Ce principe a été acté le 12 novembre 2003 par une décision du bureau national du PS.
Principe. Manuel Valls paraît bien seul au PS pour plaider en faveur d’un « aménagement de la loi de 1905 ». Ne niant pas une certaine proximité avec Sarkozy, le député-maire d’Evry (Essonne) souligne que leurs démarches sont opposées : « Il part de la religion comme espérance, moi je pars de la laïcité comme principe. » Mais Manuel Valls ne souhaite pas faire un « débat idéologique ». Auteur d’un ouvrage d’entretiens qui vient de paraître (1), il s’appuie sur son expérience de maire d’une commune où se côtoient toutes les religions pour prôner un plan de financement des mosquées en trois points : l’établissement d’un « moratoire », l’autorisation d’un « financement public par l’Etat et les collectivités locales », et l’« interdiction des financements venant de régimes non démocratiques ».
Cette révision parcellaire est du point de vue de l’ancien ministre socialiste Jean Glavany « totalement impossible ». Responsable au PS de l’Université permanente de la laïcité, Glavany considère qu’une modification de la loi reviendrait « à ouvrir la boîte de Pandore ». « Si nous permettons la construction de mosquées, les autres religions vont elles aussi revendiquer des aménagements. Toucher à la loi de 1905 c’est allumer une mèche dont on ne sait ni quand ni pourquoi elle explosera. Mais dont on est certain qu’elle explosera. » Comme en écho, Laurent Fabius recommande, lui aussi, de ne « pas toucher » à une loi qui « depuis un siècle permet de ne pas faire de confusion ». Un principe qu’il martèle d’un congrès PS à l’autre, de celui de Dijon en 2003 au rendez-vous du Mans dans trois semaines.
(1) Avec Virginie Malabard, éd. Desclée de Brouwer.
24 10 2005