Sauf énorme surprise, la Commission européenne recommandera le 6 octobre l’ouverture de négociations d’adhésion avec la Turquie après quatre décennies de valse-hésitation autour de cette question cruciale pour l’UE.
Le commissaire européen chargé de l’Elargissement, GÜnter Verheugen, a achevé jeudi une longue visite officielle de quatre jours dans ce pays musulman de 70 millions d’habitants qui frappe à la porte de l’Union depuis 1963, année de la signature d’un accord d’association portant l’adhésion en germe.
A l’issue de cette mission, la question n’est pas de savoir si l’exécutif européen recommandera d’ouvrir des négociations dans son rapport sur les progrès réalisés par Ankara sur la voie de la démocratie, estiment les responsables de l’institution.
« L’issue ne fait aucun doute », souligne un commissaire selon lequel la Commission a une « énorme responsabilité parce qu’il sera difficile, voire impossible, d’aller contre (son) avis » lorsque les gouvernements européens se prononceront en décembre.
« Je suis certain à 100% qu’il s’agira d’un rapport positif et juste. Nous sommes très confiants (..) Je peux dire en toute honnêteté que nous avons rempli tous les critères politiques », a déclaré de son coté le ministre turc des Affaires étrangères Abdullah Gul, lors d’une visite en Estonie.
Les capitales favorables à l’adhésion de la Turquie, qui suivent le dossier comme on surveille le lait sur le feu, sont confiantes.
« Toutes les indications que nous recevons de la Commission disent qu’elle répondra positivement à la question posée, à savoir est-ce que les conditions sont réunies pour ouvrir les négociations avec la Turquie », explique un ambassadeur.
Le débat ne porte plus que sur l’opportunité d’entamer « immédiatement » les pourparlers, en décembre prochain, ou si l’on fixe un délai de quelques mois, au maximum un an.
PAS DE CORDE DE RAPPEL « La question est de savoir si la Commission dira : ’il y a suffisamment de progrès pour ouvrir les négociations tout de suite’ ou ’il est sage de différer l’ouverture de quelques mois pour permettre l’application concrète des réformes décidées’ », souligne un diplomate de haut niveau.
Ce mécanisme ne comporterait toutefois aucun élément d’incertitude : la décision finale serait prise dès décembre.
« Il n’y aura pas de corde de rappel », dit un diplomate.
Ce léger délai permettrait à certains pays, dont la France et l’Allemagne, d’organiser la ratification de la Constitution européenne sans trop d’interférence avec le dossier turc.
Verheugen s’est bien gardé de confirmer cette stratégie, mais toutes ses déclarations en Turquie sont positives.
* Le commissaire à l’Elargissement a toutefois mis un bémol à son appréciation générale jeudi en raison de la situation économique dans la sud-est de la Turquie, à majorité kurde.
* « Les conditions dans le sud-est sont pires que ce à quoi je m’attendais », a-t-il déclaré à la chaîne de télévision CNN TÜrk.
« Il faut une stratégie pour attirer les investisseurs dans la région (...) Si vous fournissez un environnement sûr et stable, les investisseurs viendront. » La Commission doit se prononcer sur le respect de critères politiques - démocratie, respect des droits de l’homme et des minorités, place de l’armée dans la société - et le rapprochement économique se fera pendant les pourparlers qui promettent d’être long - on parle de 10 à 15 ans à Bruxelles.
La résistance à l’ouverture de négociations d’adhésion a considérablement faibli ces derniers mois dans l’Union.
Certes, certains responsables européens ne cachent pas leur méfiance, voire leur opposition à ce saut gigantesque.
On les retrouve au sein de la Commission elle-même, où un commissaire a compté sept membres de l’institution « sceptiques ».
Frits Bolkestein, qui est chargé du Marché intérieur, a prononcé lundi dernier un discours qui a fait grand bruit, puisqu’il estime qu’avec l’adhésion de la Turquie l’Union européenne sera au XXIe siècle « plus islamique ».
« Si cela devait arriver, la libération de Vienne en 1683 n’aura servi à rien », a estimé Bolkestein en référence à la défense de la ville par les forces polonaises, allemandes et autrichiennes face au siège ottoman.
LA CREDIBILITE DE L’UE EN JEU Curieusement, son porte-parole a toutefois précisé que Bolkestein n’était pas opposé à l’adhésion de la Turquie.
Il faut dire qu’il est plutôt isolé au sein de l’UE.
Le commissaire aux Relations extérieures, Chris Patten, a en effet mis en garde contre une décision négative.
« Si la Turquie peut à bon droit démontrer qu’elle a franchi cet obstacle, alors continuer à traîner des pieds ou faire barrage à la Turquie aurait sans doute des implications pour notre relation non seulement avec un pays aussi important mais aussi avec le monde islamique », a-t-il déclaré mercredi à Reuters.
Les démocrates-chrétiens, traditionnellement opposés à l’adhésion de ce pays musulman, se font aussi prudents.
« Moi, je ne crois pas que le moment soit venu d’entamer des négociations d’adhésion avec la Turquie », a souligné le chef du groupe conservateur au Parlement européen, Hans-Gert Pöttering, avant d’ajouter que son jugement était « basé uniquement sur la situation des droits de l’homme », pas sur la religion.
« Je ne me prononce pas sur son adhésion », a-t-il ajouté.
L’affaiblissement de l’opposition à la Turquie provient à la fois des progrès réalisés par Ankara sur la voie de la démocratie, unaniment reconnus même si la mise en œuvre des réformes fait débat, et par la puissance du « lobby » pro-turc.
Lundi dernier, une commission « indépendante » composée de personnalités de toutes les écoles de pensée de l’UE a exhorté les gouvernements des 25 à ne plus différer la réponse de l’UE.
« Tout nouvel ajournement affaiblirait la crédibilité de l’Union européenne », a déclaré l’ancien président finlandais Martti Ahtisaari, qui dirige ce prestigieux cénacle."