Élargissement.
Pour Ahmet Insel, professeur d’économie à l’université de Galatasaray, l’ouverture des négociations est un soulagement.
Comment réagissez-vous à l’accord sur les négociations d’adhésion avec la Turquie difficilement adopté lundi soir par les Vingt-Cinq ?
Ahmet Insel. Le fait que cet accord ait dû être obtenu à l’arraché est très surprenant. In fine, rien n’a changé par rapport à ce qui avait été arrêté par les Vingt-Cinq le 17 décembre 2004. La crédibilité européenne en prend un coup : que penser de dirigeants qui peuvent, dans un temps aussi court, changer d’avis et modifier les conditions posées à leurs interlocuteurs ?
Les masques sont tombés sur les réelles intentions de certains pays. Il y a eu de la part de l’Autriche et, indirectement, de la France une volonté de gêner l’adhésion de la Turquie. C’est une réaction des forces conservatrice qui rompt les postures adoptées auparavant. Et pour la Turquie, cela fait présager un processus d’adhésion très dur avec, à chaque étape, le risque d’être confronté au même type de blocages.
Vous êtes particulièrement critique par rapport à la France...
Ahmet Insel. Oui, je crois qu’il y a une amertume forte dans la population turque. Les relations franco-turques ne sont plus basées sur la confiance et le respect mutuels. Il y a eu tellement de discours hostiles en France, pas seulement de l’extrême droite raciste. Une quarantaine de députés UMP ont exprimé leur « sincère aversion » pour l’ouverture de négociations. C’est une expression forte, l’aversion vient du cœur, des tripes. Face à cela, comprenez que, côté turc, on prenne ses distances par rapport à la France, même si l’on sait qu’il existe un clivage entre la position du chef de l’État [favorable à l’adhésion-NDLR] et celle de l’UMP de Sarkozy.
L’ouverture des négociations doit tout de même être une nouvelle positive pour vous ?
Ahmet Insel.. Il y a un soulagement, évidemment. En tant que Turc, démocrate de gauche, je suis reconnaissant de tous les efforts des démocrates européens et des forces de gauche.
On nous dit : l’entrée de la Turquie, c’est la fin de l’Europe politique. Mais ceux qui refusent l’entrée de la Turquie, parce qu’elle servirait une Europe-marché à la britannique, libérale, sont ceux qui ont poussé la Turquie à entrer par la porte britannique et atlantiste (1).
Que peut changer l’ouverture des négociations sur la situation politique en Turquie ?
Ahmet Insel. Il n’y a pas de cassure, c’est l’essentiel. Si les négociations ne s’étaient pas ouvertes, on aurait pu craindre de nombreux reculs, un choc économique et surtout un repli nationaliste. Je ne crois pas en revanche au risque de montée des intégrismes, cun discours qui ignore la réalité politique turque et rejoint la position de ceux qui voulaient faire de la Turquie le cheval de Troie de l’islam en Europe. Avec l’ouverture des négociations, nous sommes dans la continuité de ce qui se fait depuis 1999. Il n’y aura pas de grand saut en avant mais on évite le pire.
(1) Les principaux soutiens d’Ankara dans les dernières discussions avec Bruxelles ont été le Royaume-Uni et... les États-Unis, intervenus pour aplanir certaines divergences.
Entretien réalisé par Paul Falzon