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Malentendus et paranoïa entravent les réformes en faveur des minorités religieuses turques

jeudi 4 janvier 2007, par Sophie Shihab

Le Monde - 29/11/2006

Le chauffeur de taxi prié de conduire son client au quartier stambouliote du Phener, siège du patriarcat orthodoxe de Constantinople, répond : « Ah oui, vous voulez dire le Vatican ! » Il n’y a pas trace d’ironie dans sa voix, ni d’ailleurs de désapprobation.

Simplement, l’accusation martelée ici par les milieux nationalistes, selon lesquels le patriarcat « veut devenir un Etat dans l’Etat, comme le Vatican », a fait mouche. La question fut d’ailleurs posée, mardi 28 novembre, à l’archevêque Demetrios d’Amérique, représentant du patriarcat, lors d’une conférence de presse à Istanbul : « Est-il vrai qu’un Etat orthodoxe va être proclamé à Istanbul le dernier jour de la visite du pape ? » Le prélat a dû démentir et expliquer que le titre « oecuménique » du patriarche du Phener - que seule la Turquie lui dénie - vient de son magistère spirituel sur les orthodoxes éparpillés dans le monde, et non d’ambitions territoriales. Mais les Turcs, élevés depuis Atatürk dans la phobie des « ennemis de l’extérieur et de l’intérieur » qui veulent dépecer leur pays, se méfient.

« Je suis de ceux qui croient à l’existence d’un agenda caché » du patriarcat, a déclaré au Monde le moufti d’Istanbul Mustafa Cagrici. Opinion partagée par un intellectuel laïque, qui n’hésite pas à prôner une expulsion du patriarcat pour garantir le « non-retour des Grecs en dominateurs à Istanbul ». Ce qui tient de la paranoïa, car ces Grecs de Turquie sont aujourd’hui moins de 5 000. Mais cela se comprend mieux si l’on se souvient qu’avant 1914, les non-musulmans formaient la moitié de la population d’Istanbul. En témoigne l’architecture d’une bonne moitié de la ville ancienne, où des étrangers reviennent d’ailleurs s’installer ou investir, faisant monter les prix, en même temps que les craintes des Turcs d’être à nouveau dépossédés dans leur pays...

Biens confisqués

C’est en tout cas une des raisons du retard, à l’approche des élections turques de 2007, des réformes liées aux droits des minorités et aux libertés religieuses, réclamées dans le cadre des négociations avec l’Europe. Devant les médias, Mgr Demetrios a énuméré celles que le patriarcat voudrait voir adopter. Outre la question du titre « oecuménique », ce sont celles relatives aux propriétés confisquées et à la liberté de former en Turquie des religieux.

Entre 1974 et 2002, l’Etat turc a saisi une bonne partie de l’immense patrimoine d’églises, écoles, hôpitaux, magasins ou immeubles de rapport appartenant surtout aux Grecs, et qui devenaient de plus en plus vides avec leurs vagues de départs.

Les Turcs nient qu’il s’agisse de spoliation : « En France, c’est l’Etat qui possède les biens de l’Eglise acquis avant la loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat », souligne Onur Öymen, numéro 2 du principal parti d’opposition, le Parti républicain du peuple. Il insiste surtout sur le principe de réciprocité inclus dans le traité de Lausanne de 1923 qui définit, notamment, les « droits des minorités non-musulmanes » en Turquie, applicables aussi aux « musulmans de Grèce ». Ce qui rend les minoritaires de Turquie otages de la politique d’Athènes, elle aussi restrictive en termes de minorités.

Sous la pression de l’Union européenne (UE), la loi sur les Fondations des minorités a été assouplie en 2002 et en août 2006, mais sans satisfaire encore les intéressés. Elle ne permet notamment pas la réouverture du séminaire orthodoxe de Khalki, à laquelle Onur Öymen est opposé. « Sinon, il nous faudra aussi autoriser les écoles des fondamentalistes saoudiens », dit-il, en estimant par ailleurs contre-productif que « des droits de minorités soient perçus comme ayant été accordés sous la pression de l’étranger ». Des propos qui, selon le sociologue Hakan Yilmaz, « traduisent une perception du droit non comme un ensemble de droits humains inaliénables, mais comme des privilèges accordés d’en haut, comme sous les Ottomans - ce qu’il nous faut changer pour entrer dans l’UE ».

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