Dénoncée comme une « injustice » par le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, la décision de l’Union européenne de « geler » quelques chapitres des négociations d’adhésion est une demi-mesure ambiguë qui ne clarifie en rien la position des Européens. Elle renforce les arrière-pensées des protagonistes, au risque de provoquer une crise d’autant plus grave qu’elle aura été ajournée.
Dans cette affaire, qui a son origine dans l’affirmation d’une « vocation européenne » de la Turquie par de Gaulle et Adenauer en 1963, tout le monde joue avec des cartes biseautées. Malgré les réformes entreprises par Ankara sous la direction de M. Erdogan et de ses amis, dits islamistes modérés, la Turquie ne remplit pas ses engagements. Elle devait élargir, depuis 2004, l’union douanière aux nouveaux pays de l’UE. Elle s’y refuse en ce qui concerne la République de Chypre (grecque). Autrement dit, elle veut entrer dans un club dont elle ne reconnaît pas un des membres.
S’ils ont raison de protester, les Chypriotes grecs - qui ont joué au plus fin en l’occurrence - ne sont pas au-dessus de tout soupçon. Ils avaient obtenu la promesse d’entrer seuls dans l’Union européenne si la division de l’île n’était pas réglée en 2004. La contre-partie, implicite certes, supposait un minimum de bonne volonté dans les négociations sur la réunification, menées sous l’égide de l’ONU.
Trop contents de mettre fin à leur isolement, les Chypriotes turcs ont, à la veille de l’élargissement de l’Europe, il y a deux ans, voté majoritairement en faveur du plan de l’ONU. Ayant empoché leur ticket d’entrée dans l’UE, les Chypriotes grecs ont rejeté ce plan. Ils disposent donc maintenant d’un droit de veto sur toutes les décisions concernant la Turquie et la partie nord de Chypre, alors que la communauté internationale ne dispose plus d’aucun moyen de pression sur eux.
Jouer cartes sur table
La position des autres membres de l’Union n’est pas plus limpide. Certains, comme les Britanniques, sont partisans de l’entrée de la Turquie pour torpiller l’idée d’une Europe politique. D’autres ont accepté, en 2005, les négociations d’adhésion avec Ankara en comptant bien qu’elles échouent. L’espoir est que les Turcs finissent par se décourager devant les conditions posées et préfèrent un partenariat « privilégié » à la participation pleine et entière. Partisan de l’entrée des Turcs dans l’UE, mais ébranlé par les réactions de l’opinion française, Jacques Chirac a compliqué la situation en inscrivant dans la Constitution l’obligation d’un référendum avant tout nouvel élargissement.
Si la Turquie est bien le partenaire stratégique dont l’Europe a besoin, comme tout le monde se plaît à le dire, l’honnêteté et le réalisme commandent de jouer enfin cartes sur table.