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Crise au Mouvement Européen France

jeudi 21 décembre 2006, par Pierre Moscovici

Source : Le Blog de Pierre Moscovici

Pierre Moscovici revient sur l’élection à la tête du Mouvement Européen France qui a vu Sylvie Goulard lui succéder : il s’interroge sur la fin du consensus hérité des fondateurs de l’Europe entre les Chrétiens et les Sociaux-démocrates, sur l’apparition d’un nouveau clivage sur la vision de l’Europe à venir. Enfin, peut-être sur les divisions politiques profondes que ne manquent pas de susciter les conditions d’une globalisation à la fois neuve et incontrôlable et qui seront sans doute les clivages de demain à l’échelle européenne : la question de l’adhésion de la Turquie tient dans ce débat une place centrale.


Depuis le 9 décembre, je ne suis plus Président du Mouvement Européen France, fonction désormais exercée par Sylvie GOULARD. Comme je l’ai toujours fait, en toute circonstance, j’accepte le verdict démocratique, même si je le regrette. Mais, à vrai dire, mes sentiments sont plus mélangés : au regret se mêle en effet l’inquiétude.

Inquiétude, d’abord, lorsque j’analyse les ressorts profonds de ce vote. Obtenu au nom d’un prétendu dépassement de la politique au profit de la société civile, bien aspiré par l’air du temps, il obéit en réalité à des logiques très politiques. J’ai été, brièvement, le premier président socialiste de cette grande association théoriquement vouée à l’alternance...depuis Gaston DEFFERRE en 1974. Et cela est déjà apparu, probablement, comme excessif à certains. Pensez : un président issu d’un parti qui s’est divisé sur la Constitution européenne, attaché à réconcilier le « oui »et le « non », pas viscéralement hostile à la vocation européenne de la TURQUIE, visant l’Europe sociale autant que l’Europe politique, c’était insupportable !

Une nouvelle ligne de fracture

Au delà du clivage gauche-droite - qui, bien sûr, ne rend pas compte intégralement du résultat de l’élection - j’ai eu des voix issues de la droite parlementaire, d’autres, venant de la gauche, m’ont manqué ; d’éminentes figures comme Robert BADINTER ont malheureusement cautionné cette opération - la vraie ligne de fracture se situe, selon moi, entre fondamentalisme et progressisme, entre fermeture et ouverture, entre nostalgie et pragmatisme. C’est vrai, je l’avoue, je ne crois pas, depuis le 29 mai 2005, que le TCE verra le jour en l’état, il ne sera jamais revoté par les Français, il faut donc en sauver l’essentiel et évoluer. Oser dire cette vérité a sans doute choqué, et pourtant j’assume. C’est vrai, je l’avoue aussi, je pense que l’adhésion de la Turquie - à long terme, conditionnelle, voire hypothétique - est d’intérêt stratégique. Oser le dire a apparemment horrifié, et pourtant j’assume encore.

Je ne suis pas indispensable au Mouvement Européen, il a vécu avant moi, il a une belle histoire, il se poursuit après. Mais cette élection n’est pas banale, elle n’ira pas sans conséquences lourdes. Au détour d’une confrontation électorale - que la réforme des statuts que j’ai moi-même proposée a permise, mais qui n’était pas dans l’esprit de la vie associative, lequel appelle au compromis et à l’unité - je crains qu’un changement de nature, irréfléchi et dangereux, se soit opéré. Le Mouvement Européen n’a de sens et d’audience réelle que s’il exprime un consensus des forces pro-européennes et, j’en suis persuadé, que s’il est présidé par un responsable politique qui lui prête son crédit, abrite le pluralisme et sait rassembler.

Fédéralisme d’hier et Europe chrétienne

Ces deux conditions n’existent plus, le Mouvement Européen est dès lors profondément divisé, il risque de se replier sur lui-même, d’être confisqué par une seule famille politique - les démocrates-chrétiens, ou plutôt les plus intransigeants d’entre eux - et par une vision intégriste de l’Europe - celle du fédéralisme d’hier, voire d’avant hier, dans les frontières de l’Europe chrétienne qu’un « relooking » moderne ne saura vraiment dissimuler.

Cette vision de l’Europe et du rôle du MEF n’est pas la mienne, je pense pour ma part qu’il faut inventer un nouveau fédéralisme inclusif et souple, pour une Europe à 30, assumant sa dimension et sa diversité. Je n’avais présenté ma candidature que pour répondre à la demande d’amis attachés à l’histoire et à l’esprit du MEF, dans l’espoir que la raison prévaudrait et permettrait le rassemblement. Je suis triste pour tous les militants sincères, qui, avec moi, ont espéré renouveler ce compromis historique et se sentent aujourd’hui désorientés, mais à titre personnel je me sens très serein.

En effet, je m’interrogeais, depuis longtemps déjà, depuis l’échec du référendum au moins, sur la robustesse, à l’âge de la mondialisation et de l’Europe élargie, du consensus fondateur passé, au lendemain de la seconde guerre mondiale, entre les chrétiens-démocrates et les socio-démocrates. Il eût fallu, pour le perpétuer, beaucoup de désintéressement, d’écoute mutuelle et d’abnégation. L’élection de Sylvie GOULARD a, au moins, ce mérite : elle a réveillé la profondeur du clivage politique sur l’Europe, mais aussi démontré hélas une forme d’intolérance chez certains, qui considèrent l’Europe comme une propriété privée et non comme une œuvre partagée. Ce n’est pas ma conception de la vie publique : j’ai toujours cherché des compromis, des dépassements, je n’accepte pas d’abdiquer ou de subordonner mes convictions.

Je resterai bien sûr, dans mon action politique et citoyenne, un militant européen. C’est ma vie, depuis 15 ans déjà. Je m’investirai aussi dans la vie associative, en suivant avec sympathie les travaux progressistes de « Confrontations », « Sauvons l’Europe »,« A gauche en Europe », « CAFECS », d’autres groupes encore, existants ou à créer.

Mais, tout en souhaitant bonne chance à la nouvelle équipe dirigeante et en exprimant mon amitié aux militants, je ne pourrai selon toute vraisemblance pas me reconnaître dans le « nouveau MEF ». Bref, je m’exprimerai, comme je l’ai fait dans mon récent livre « L’Europe est morte, vive l’Europe », en homme libre, en homme de gauche favorable à un vrai choix européen pour les socialistes français, sans m’embarrasser d’un consensus devenu faux, parce que refusé.

Est-ce, au fond, un mal ? Pas forcément : c’est du frottement des idées, de leur affrontement à l’occasion que naîtra l’Europe de demain. Le MEF ne sera vraisemblablement plus l’atelier d’un consensus, il risque de devenir un protagoniste partial. Il pourra contribuer, avec vigueur et intelligence - la nouvelle Présidente, dans son style particulier et à mon sens très discutable, n’en manque pas - mais il pourra difficilement prétendre rassembler.

Je crains que beaucoup de membres du Conseil national et de militants du MEF n’aient pas mesuré les conséquences de leurs choix. Je suis hélas sûr que ceux qui le leur ont proposé, animés par le désir vain d’un mince pouvoir et d’un succès illusoire, n’ont pas fait preuve de sens des responsabilités. Cette fausse heure de gloire ne durera pas, les dégâts eux, seront difficiles à réparer. C’est une autre histoire qui commence : même les civilisations sont mortelles.

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