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Le double défi de Moscou et d’Ankara

vendredi 1er décembre 2006, par Thomas Ferenczi

Source : Le Monde, le 23-11-2006

En cette fin d’année 2006, l’Union européenne entretient des relations difficiles avec ses deux grands voisins de l’Est : la Russie et la Turquie. Avec l’une, elle tente de nouer un nouvel accord de partenariat mais bute sur son refus de ratifier la charte de l’énergie, qui faciliterait l’ouverture de son marché. Avec l’autre, elle s’efforce de mener à bien les négociations d’adhésion mais achoppe sur la question de Chypre, Ankara continuant de fermer ses ports et ses aéroports aux navires et aux avions chypriotes, en dépit du protocole étendant son union douanière aux dix nouveaux Etats membres.

Ce double défi met à l’épreuve la crédibilité de l’UE, qui entend user de son influence pour renforcer ses liens avec ces deux puissances sans pour autant renoncer à l’affirmation de ses exigences ni à la défense de ses intérêts. Si les méthodes diffèrent - l’une est appelée à entrer éventuellement dans l’Union, l’autre non -, le but est le même : construire une vaste zone de stabilité aux frontières orientales de l’Europe afin de prévenir des conflits futurs.

La Russie et la Turquie ont de nombreux points communs, comme le note Charles Grant, directeur du Centre for European Reform, un centre de recherches britannique, dans une étude récente. L’une et l’autre sont à cheval sur l’Europe et l’Asie, leurs capitales culturelles (Saint-Pétersbourg et Istanbul) penchant vers l’Ouest, leurs capitales politiques (Moscou et Ankara) plus tournées vers l’intérieur. L’une et l’autre sont issues de vastes empires multiethniques aujourd’hui démantelés. L’une et l’autre sont incertaines de leur identité européenne, défendue en leur sein par les cercles modernistes et rejetée par les milieux traditionalistes.

Dans les deux pays, assure Charles Grant, un nationalisme exacerbé, sur la défensive, parfois paranoïaque, n’est jamais loin de la surface. Il s’accompagne d’une volonté de centralisation qui brime les droits des minorités ethniques, kurdes en Turquie, tchétchènes en Russie. Des « forces étrangères » y sont accusées d’encourager les séparatismes, durement réprimés. A Moscou comme à Ankara, des régimes autoritaires menacent les libertés publiques et font peu de cas des droits de l’homme, suscitant l’inquiétude des Européens.

L’UE est d’autant plus gênée dans son action que ses membres sont divisés. Tiraillée entre la sévérité des uns et l’indulgence des autres, elle alterne intransigeance et souplesse, soucieuse d’affirmer ses différences sans aller jusqu’à la rupture. Il est vrai que les deux Etats ne sont pas des partenaires commodes et qu’ils mènent la vie dure à l’UE, adoptant des attitudes volontiers cassantes, voire provocantes. Le moins qu’on puisse dire est que ni la Russie ni la Turquie ne facilitent les efforts de conciliation entrepris par les Européens. Mieux : face à l’UE, elles n’hésitent pas à s’allier. Depuis cinq ans, note Charles Grant, les liens entre ces deux pays, autrefois hostiles, se sont resserrés.

Ce rapprochement coïncide avec la montée de sentiments antieuropéens qui ne favorisent pas la reprise du dialogue. L’UE doit donc trouver les moyens de rétablir des relations de confiance avec ses deux voisins. Ni la Turquie ni la Russie ne paraissent, pour le moment, disposées à bouger. L’une répète qu’elle ne cédera pas sur Chypre, l’autre reste intraitable sur l’énergie. Il faudra aux Européens beaucoup d’habileté et de détermination pour sortir de l’impasse.

A terme, que la Turquie devienne, ou non, membre de l’Union, l’objectif des Européens est d’organiser, aux confins du monde musulman, un espace de paix et de coopération. Ankara et Moscou ont un rôle à jouer dans la réalisation de ce plan. Celui-ci ne se concrétisera que si la Turquie et la Russie sont durablement associées à la politique européenne.

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