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L’UE donne son feu vert à Ankara

jeudi 7 octobre 2004, par Jean Quatremer

Libération - 06/10/2004

Pour la Commission, les négociations peuvent débuter. La décision devra être prise par les chefs d’Etat et de gouvernement le 17 décembre.

La Turquie va pouvoir commencer ses négociations d’adhésion à l’Union européenne. Dans une « recommandation » de huit pages, rédigée par le commissaire à l’Elargissement, Günter Verheugen, et adoptée aujourd’hui par la Commission, celle-ci estime que ce pays respecte « suffisamment les critères politiques de Copenhague », c’est-à-dire la démocratie et les droits de l’homme, pour espérer pouvoir rejoindre, à terme, les Vingt-Cinq. Un épais rapport de 187 pages, qui met l’accent sur l’impressionnant paquet de réformes législatives lancé par le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan depuis deux ans, étaye cet avis favorable. Enfin une « analyse d’impact », demandée par le Parlement européen, estime que l’Union ne pourra que sortir gagnante de cet élargissement éventuel.

Malgré son analyse très positive des changements intervenus en Turquie, la Commission se garde bien de recommander une date précise pour l’ouverture des négociations : il reviendra aux chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-Cinq d’en décider lors de leur sommet des 17 et 18 décembre. « Nous avons fait notre part du boulot », dit-on à la Commission : « A eux, qui ont tant souhaité que la Turquie adhère, de décider si les négociations commenceront en 2005, ou après la ratification du traité constitutionnel, ce qui nous renverrait à fin 2006, début 2007. » L’exécutif européen prend cependant soin de préciser noir sur blanc, et c’est une première dans l’histoire de l’élargissement, qu’il s’agit d’une « négociation dont l’issue reste ouverte ».

La Commission a en effet prévu une « clause de suspension » des négociations en cas de violation « sérieuse et répétée » des principes de la démocratie et des droits de l’homme. Il reviendra au Conseil des ministres d’en décider, à la majorité qualifiée, sur proposition de la Commission. La Turquie sera aussi soumise à une évaluation annuelle, à partir de 2005, afin de s’assurer que les réformes votées sont effectivement appliquées. « La Croatie, qui commencera à négocier début 2005, a droit au même traitement, même si son adhésion ne fait guère de doutes », insiste-t-on à la Commission, histoire qu’Ankara ne crie pas aux deux poids, deux mesures... Et même si la Turquie ne goûtera guère cette surveillance rapprochée, l’appréciation que porte Bruxelles sur les progrès accomplis devrait faire plaisir au gouvernement de l’AKP, qui voit salué son effort de modernisation.

Consensus. Mais la Commission prend soin de souligner qu’il y a loin de la coupe aux lèvres : « Il faudra du temps avant que l’esprit des réformes se retrouve dans le comportement des corps exécutifs et judiciaires et à travers le pays. » De la torture dans les commissariats, qui n’est plus « systématique », aux violences faites aux femmes, en passant par les discriminations dont font encore l’objet les Kurdes ou la corruption, le rapport pointe les dysfonctionnements de l’Etat de droit en Turquie. C’est pourquoi une minorité de commissaires aurait aimé que l’exécutif européen se montre plus dur.

Sans aller jusqu’à un rejet de cette candidature, souhaité par le Néerlandais Frits Bolkestein ou l’Autrichien Franz Fischler, le Français Pascal Lamy voulait que la recommandation indique que, en cas d’échec des négociations, un « partenariat privilégié » pourrait être proposé, afin de donner un signal politique clair de ce qui se passerait au cas où Ankara ne jouerait pas le jeu. De même, la reconnaissance du génocide arménien lui semblait une nécessité. Enfin, il aurait voulu que la Commission réclame une augmentation du budget communautaire afin de couvrir le coût de l’adhésion. Mais, hormis l’Espagnole Loyola de Palacio, la Luxembourgeoise Viviane Reding, le Chypriote Markos Kyprianou et le Slovaque Jan Figel, la grande majorité du collège est favorable, sans états d’âme, à l’adhésion. Au pis, Romano Prodi, le président de la Commission, n’obtiendra pas aujourd’hui le consensus qu’il souhaite afficher sur la Turquie et devra procéder à un vote sur la recommandation pour qu’elle soit adoptée.

Repasser le bébé. La Commission n’est pas fâchée de repasser le bébé aux chefs d’Etat et de gouvernement, qui ont précipité le mouvement. Après avoir reconnu à la Turquie le statut de « pays candidat » en décembre 1999, ce sont eux qui ont demandé à la Commission, en décembre 2002, de préparer un rapport pour octobre 2004 afin de décider si oui ou non l’élargissement à la Sublime Porte pouvait être engagé. A l’époque, Verheugen et Prodi avaient protesté en vain, en faisant valoir qu’il ne fallait pas se laisser enfermer dans des délais trop serrés...

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