La Turquie doit-elle rejoindre le cercle des Vingt-Cinq ? À l’approche du Conseil européen de décembre dernier, la question semblait tourmenter tant les opinions publiques que les cercles politiques européens. On aura rarement vu candidature à l’Europe susciter une telle passion. L’intégration récente, et en une seule fois, de dix nouveaux membres, dont d’anciens pays communistes, avait bien moins alimenté le débat. Comment, objectivement, expliquer les réticences qui se sont manifestées au grand jour, et avec une hargne assez inhabituelle pour un sujet de nature européenne ?
Manifestement, le « problème kurde » et la situation générale des droits humains peuvent légitimer ces réserves. Des progrès ont bien entendu été réalisés par les autorités turques, qui ont notamment aboli la peine de mort, mais leur bilan en matière de lutte contre la torture, de justice, de libertés d’opinion et d’association semble beaucoup plus mitigé.
Ces faiblesses démocratiques turques constituent généralement l’épine dorsale des argumentaires anti-adhésion. On pourrait s’en féliciter, si l’on n’avait l’amère impression que leur discours sur les droits humains et la démocratie n’était mis au service de considérations moins défendables, et surtout moins avouables. La hantise, par exemple, qu’un État de 70 millions de musulmans rejoigne « l’Europe chrétienne », ou la peur de voir les pays européens les plus prospères envahis par des hordes de travailleurs turcs.
En décembre, on a donc pu surprendre des personnalités politiques, qui s’étaient jusqu’alors davantage manifestées par leurs velléités à assurer l’ordre intérieur, se préoccuper subitement du sort des femmes turques ou de l’état des prisons de Diyarbakir. S’il n’appartient pas à Amnesty de se prononcer sur l’adhésion turque à l’UE, on ne peut rester sans réaction à l’instrumentalisation à des fins politiques des informations et autres rapports sur la situation des droits humains.