Erol Katircioglu, éditorialiste à Radikal (quotidien intellectuel de gauche), a été poursuivi pour délit d’opinion, en compagnie des noms bien connus dans ces colonnes : Ismet Berkan, Murat Belge et Hasan Cemal.
Ils étaient accusés d’avoir dénoncé l’interdiction d’une conférence sur les Arméniens en septembre dernier.
Le 11 avril dernier, la Justice devait abandonner les poursuites contre ces intellectuels, à l’exception de Murat Belge.
Né en 1950, Erol Katircioglu est professeur d’économie. Il fut conseiller du vice premier ministre Erdal Inönü (figure historique de la gauche démocrate en Turquie) dans les années 90 avant de commencer des collaborations régulières avec la presse turque pour une série de chroniques liées à l économie. Guillaume Perrier, correspondant du Monde, recueille ici ses impressions à la veille de sa dernière comparution devant une cour pénale d’Istanbul.
Vous comparaissez demain, à Istanbul, pour avoir critiqué, avec quatre autres éditorialistes turcs, une décision de justice qui interdit la tenue d’une conférence universitaire sur les Arméniens à la fin de l’empire ottoman ?
Une cour de justice ne devrait pas pouvoir annuler une conférence universitaire. Dans mon édito de l’époque, j’ai donc écrit que cette décision est stupide et indigne de notre système démocratique.
Qu’attendez-vous de ce procès ?
Mon intention n’était pas d’enfreindre la loi mais je réclame le droit d’exprimer mes idées, mes opinions. Et je pense que le juge va abandonner les poursuites.
Comme vous ou l’écrivain Orhan Pamuk, des dizaines d’intellectuels turcs qui osent parler de la question kurde ou du génocide arménien se retrouvent devant les tribunaux. Cela vous inquiète-t-il ?
Les nationalistes qui mènent cette campagne de procès n’ont ni pouvoir ni soutien. C’est de l’intimidation. Mais ils appartiennent au passé. Si nous avions été dans les années 1970, on nous aurait emprisonnés et torturés. Aujourd’hui, les choses changent, grâce aux réformes entreprises pour entrer dans l’Union européenne. Ces gens tentent de faire obstacle à la marche de la Turquie vers l’Europe mais le vent du changement est trop fort.
Pourquoi le gouvernement turc ne réforme-t-il pas le code pénal pour mettre fin à ces procédures ?
C’est le résultat d’un compromis au Parlement entre nationalistes et démocrates. Mais, bien sûr, il faut abroger ces articles du code pénal qui sont liberticides et qui permettent aux nationalistes de se faire entendre. La seule chose à faire est de se mobiliser. Nous avons un projet de manifeste et des mouvements de désobéissance civile sont nés à l’initiative d’intellectuels turcs.
Un autre procès, visant deux universitaires Baskin Oran et Ibrahim Kaboglu auteurs d’un rapport sur les minorités en Turquie, pourtant commandé par le gouvernement, s’ouvre aujourd’hui à Ankara... Ces questions sont-elles encore taboues en Turquie ?
De moins en moins. La conférence arménienne de septembre dernier a levé le tabou du génocide arménien. Maintenant, on peut aussi aborder la question kurde alors que c’était impossible il y a vingt-cinq ans et ce rapport sur les minorités a été publié et débattu, ce qui est le plus important. Maintenant il faut nous battre pour continuer cette guerre et il faut que les partis politiques intègrent cette volonté de réforme. Nous sommes au milieu du gué.
Recueilli par Guillaume Perrier,
à Istanbul (Turquie)
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