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Diversité identitaire

Recherches turques

jeudi 23 mars 2006, par Samir Aita

© LE MONDE DIPLOMATIQUE

Comment l’identité turque se déchire-t-elle entre son histoire et son avenir, qu’elle souhaite européen ? La question se résume-t-elle à « un désir d’Europe comme moyen de résoudre le contentieux entre la république et la démocratie (1) » ? La Turquie pourra-t-elle continuer à conjuguer démocratie et autoritarisme, l’Etat devant gérer à la fois une économie dont la partie informelle reste très large, et où la corruption politique est endémique, ainsi qu’une société civile dont les expressions s’accompagnent d’une résurgence des identités multiples ? Autant de questions qu’évoquent de récents ouvrages, notamment celui de Semih Vaner.

Thierry Zarcone rappelle que la « principale caractéristique du monde turc (...) est son pluralisme religieux. L’islam y adopte des formes variées et souvent antagonistes (2) » : mouvance sunnite hanéfite (la plus libérale), confréries soufies, alevis chiites, docteurs philosophes, héritier du rationalisme islamique. Les alevis ont joué un rôle central dans l’histoire moderne de la Turquie, notamment dans la bataille entre laïcité et religion. Historiquement suspectés de sympathie pour l’Iran, ces kizilbas (têtes rouges, en turc) sont de « vrais Turcs » pour les kémalistes, en opposition aux sunnites, trop influencés par les Arabes. Sans hiérarchie religieuse claire et sans dogme unifié, leur masse épouse les idéaux laïques et rejoint les mouvements de gauche, subissant de ce fait plusieurs massacres perpétrés par la droite turque liée aux extrémistes islamistes. Courtisés et associés pendant une période au séparatisme kurde du PKK, les alevis trouvent dans l’immigration en Allemagne la possibilité de créer une identité « religieuse », qui leur vaut une reconnaissance par la communauté européenne. Ils représentent bien ainsi cette autre Turquie que décrit Elise Massicard (3).

C’est dans la complexité que sont nées les premières constitutions modernes ottomanes : Hatt-i Sherif en 1839 (inviolabilité de la vie et de la propriété) et Hatt-i Humayun en 1856 (égalité de tous les citoyens de l’Empire). Ce sont les racines des « lumières » turques, et leurs sociétés secrètes, qui ont permis l’établissement de la Constitution en 1908, puis le kémalisme (4).

L’identité turque ne manque donc pas de force, ni de ressources, souvent mal connues. On oublie fréquemment que, au moment même où elle s’était mise en conflit sanglant avec Arméniens et Grecs, elle a fourni un creuset accueillant pour les émigrés musulmans chassés des Balkans ou des aires russes.

Samir Aita

Economiste syrien, président-directeur général de A Concept Mafhoum


(1) Semih Vaner (sous la dir. de) : La Turquie, Fayard-CERI, Paris, 2005, 733 pages, 28 euros.

(2) Thierry Zarcone, La Turquie. De l’Empire ottoman à la République d’Atatürk, Gallimard, Paris, 2005, 159 pages, 13,90 euros.

(3) Elise Massicard, L’Autre Turquie, PUF, Paris, 2005, 361 pages, 28 euros.

(4) Lire la première partie du livre coordonné par Semih Vaner, op. cit.

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