Alors que les dernières négociations entre Moscou et Téhéran ont échoué à produire les termes d’un accord permettant d’empêcher le transfert du dossier iranien devant le Conseil de sécurité des Nations Unies, c’est la Turquie qui débarque, presque malgré elle, sur le devant d’une scène où on ne l’attendait pas vraiment. Au programme, la question des mesures que l’ONU pourrait voter à l’encontre de la République islamique et qui mettraient Ankara en difficulté dans ses rapports de voisinage ; puis la dernière proposition iranienne d’une collaboration turco-perse sur l’enrichissement de l’uranium pour garantir la transparence du programme nucléaire iranien alors que la Turquie annonce la publication du sien pour le mois de juin. Ultime man�uvre dilatoire de Téhéran ou bien appel du pied à un lointain axe irano-turc, fort improbable aujourd’hui dans les conditions de tension régionale que connaît la région ?
Deux articles sur ces développements récents, l’un tiré de Radikal, l’autre de Cumhuriyet (journal républicain et laïque)
Des sanctions ne seront pas faciles pour la Turquie
© Radikal, le 10/03/2006
Vienne - Le transfert du dossier iranien de l’Agence Internationale pour l’Energie nucléaire (AIEA) au Conseil de sécurité des Nations-Unies devait dans le même temps susciter des interrogations sur l’attitude de la Turquie en cas de mesures prises contre Téhéran. En répondant aux questions de Mehmet Ali Birand alors qu’il était à Vienne où il a rencontré M. El Baradei le Président de l’AIEA, Abdullah Gül, le chef de la diplomatie turque, a déclaré « qu’en cas de mesures votées par le Conseil de sécurité, Ankara serait contraint de s’y plier. »
Précisant par ailleurs qu’un Iran doté de l’arme nucléaire n’était pas pour servir les intérêts de la Turquie, il a ajouté que « l’ONU était en mesure de voter des résolutions qui s’imposent à tous ses membres. Il est également important de voir sous quel chapitre et à quel titre une éventuelle décision est prise. L’Iran n’est pas en Amérique latine et comme il est notre voisin, nous n’agissons pas avec aisance. Nous sommes soucieux du moindre développement. »
Dans sa déclaration, le ministre des Affaires étrangères devait également faire savoir que l’Iran disposait d’une opportunité de choisir la voie de la collaboration et que par ce biais l’on pouvait atteindre une solution diplomatique.
Le représentant iranien à l’AIEA devait, quant à lui, déclarer qu’il ne pensait pas que la Turquie se plierait à une éventuelle série de mesures décidées par le Conseil de sécurité. Reprenant les paroles de l’ambassadeur d’Iran à Ankara, Firuz Devletabadi, évoquant la possibilité d’enrichir l’uranium en Turquie, il a ajouté que Téhéran était prêt à collaborer avec nombre de pays au nom de la transparence de son programme nucléaire. « Comme un bon voisin, je ne pense pas que la Turquie se décide à appliquer des mesures restrictives à l’Iran. Nous avons de très bonnes relations et le peuple turc s’opposerait d’ailleurs à de telles mesures », a-t-il déclaré.
Une invitation faite à Baradei
Baradei s’est quant à lui permis de proposer à la Turquie d’endosser le costume du médiateur dans cette crise, étant donné qu’elle est le seul pays à jouir de la confiance de l’Iran et de la communauté internationale.
Abdullah Gül devait ensuite inviter M. Baradei en Turquie pour une pleine collaboration avec l’AIEA sur le programme nucléaire turc qu’Ankara s’apprête à présenter en juin prochain. Le président de l’AIEA a indiqué qu’ils soutiendraient totalement le programme nucléaire de la Turquie mais qu’Ankara devait au préalable préparer à ce sujet les opinions turque et internationale et prendre des précautions dans le domaine de la sécurité.
Offre nucléaire de la part de Téhéran
© Cumhuriyet, le 09/03/2006
L’ambassadeur d’Iran à Ankara Firuz Devletabadi a déclaré que Téhéran souhaitait que la Turquie prenne une part plus active au programme nucléaire iranien tout en soulignant les relations de profonde confiance qui unissent l’Iran et la Turquie. Devletabadi a précisé que l’Iran était prêt à discuter de la possibilité de réaliser sur le sol turc les activités d’enrichissement et de production de combustible nucléaire.
L’ambassadeur devait répondre aux questions du New Anatolian juste avant de s’envoler pour Téhéran où il participera à une série d’entretiens faisant suite à l’échec des négociations menées avec la Russie. Il a souligné que l’Etat iranien était prêt à une collaboration plus poussée avec la Turquie sur les questions nucléaires. Critiquant les politiques israéliennes et américaines, il a indiqué que la Turquie et l’Iran pouvaient s’entendre sur des sujets comme l’Irak et le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan, séparatiste et en guérilla contre Ankara, ndlr).
A la question de savoir quel rôle pouvait jouer la Turquie dans cette question comme à celle des garanties que pouvait donner l’Iran, il devait répondre ceci :
« Nous pensons, quant à nous, en ce moment que des propositions avancées pour créer un climat de confiance peuvent être ensuite débattues. Nous avons grande confiance en la Turquie. Comme vous le savez le différend porte sur les questions relatives à l’enrichissement et au développement de combustible nucléaire mais pas seulement. Si l’une de ces opérations pouvait être réalisée sur le territoire turc, ceci nous serait profitable. Le sujet comporte des aspects techniques et juridiques et il peut être abordé plus en détails un peu plus tard par des experts. Mais nous sommes prêts à ce que la Turquie soit partie prenante à ce dispositif. Dans le même temps, nous appelons les entreprises turques à prendre place dans nos projets nucléaires en Iran. [...]
Le programme nucléaire iranien n’a pas de dimension militaire.
Nos deux pays ont signé lors de la visite de Recep Tayyip Erdogan à Téhéran en 2004 un très important accord en matière de sécurité. La frontière irano-turque est restée inchangée pendant un millénaire. En son temps Atatürk s’est montré favorable à certaines modifications frontalières avec l’Iran, modifications à teneur géopolitique qui devaient ouvrir la Turquie sur le Caucase et l’Asie centrale. N’oubliez pas non plus notre lutte contre le PKK. Après tout cela, peut-on trouver dans le monde deux Etats qui soient plus liés ? Tout ceci nous montre que la Turquie et l’Iran ne constituent pas de menaces l’un pour l’autre. Pour la Turquie peut-il y avoir de meilleure garantie que celle-ci ? »
© Radikal le 10/03/2006
© Cumhuriyet - 09/03/2006