Mehmet Ali Talat, candidat favorable à la réunification de Chypre, a remporté dès le premier tour l’élection présidentielle organisée dans la partie nord (turque) de l’île, avec 55,6% des voix. Son principal rival, le chef du Parti de l’unité nationale (UBP, nationaliste), Dervis Eroglu, qui a recueilli 22,7% des suffrages, a reconnu sa défaite et félicité le nouveau président.
Péninsule de Karpaz (Chypre Nord) : de notre envoyée spéciale Marie-Michèle Martinet
Majoritairement peuplée de Chypriotes grecs jusqu’à l’intervention militaire turque de 1974 et l’émigration forcée vers le sud, la péninsule de Karpaz est aujourd’hui l’une des régions les plus pauvres de l’île. Ayant pour l’instant échappé aux appétits des investisseurs, elle offre des paysages naturels magnifiquement sauvages. Pas de maisons construites à la va-vite et de bungalows pieds-dans-l’eau comme on en voit déjà tant ailleurs : juste de vieilles bâtisses, souvent délabrées, des moutons, des chèvres... et des ânes qui, abandonnés depuis trente ans à leur sort par leurs propriétaires grecs en fuite, sont retournés à l’état sauvage, faisant beaucoup de dégâts dans les cultures.
Tout au bout de cette péninsule de Karpaz se trouve le monastère de Saint Andreas. Depuis qu’il est à nouveau possible de traverser la ligne de démarcation entre le Sud et le Nord, les Chypriotes grecs ont repris l’habitude de s’y rendre, notamment pour les grands pèlerinages d’août et de décembre. Faute de mieux... C’est-à-dire dans l’attente de récupérer un jour à nouveau cette terre où ils ont dû abandonner leurs maisons. Maria, la belle-fille du prêtre orthodoxe qui veille sur la chapelle du monastère, ne désespère pas qu’un jour les personnes spoliées puissent rentrer dans leur droit : « Un nombre croissant de Chypriotes grecs viennent au Nord pour retrouver leur propriété, explique la jeune femme. Certains ont même entrepris des démarches pour les récupérer mais, pour l’instant, ils n’ont pas obtenu gain de cause. »
En 1974, quand la plupart des Chypriotes grecs ont fui le Nord occupé par les Turcs pour se réfugier dans le Sud, certains d’entre eux, les plus téméraires, ont choisi de rester. Le vieux Yannis est de ceux-là. Dans le village de Dipkarpaz (autrefois Rizokarpaso), il occupe une maison qui appartient à la famille de sa femme : « Depuis trois siècles », précise-t-il, en offrant une chaise et un verre de limonade. Quand on lui demande s’il n’a pas eu peur de rester, il hausse les épaules en souriant, et dit que « les hommes devraient tous être des frères car il n’existe qu’un seul Dieu ».
Installé à une table du seul restaurant du village, le maire de Dipkarpaz, Arif Ozbayrak, fait ses comptes : « Ici, trois cents habitants sont grecs. Et mille trois cents sont turcs. Et nous n’avons pas de problèmes entre nous... » Quand on lui demande s’il est né ici, il répond qu’il vient de Turquie, comme la majorité des habitants de la région : des colons, kurdes pour la plupart, arrivés surtout entre 1975 et 1977 pour « occuper » le terrain abandonné par les Chypriotes grecs.
Sultan Sönmez est ainsi venu de Mus, à l’est de la Turquie, pour se construire une vie meilleure. « A l’époque, on nous a donné une maison, 100 hectares de terrain et un petit pécule. Et j’ai commencé à élever des moutons. » Maintenant, Sultan Sönmez, père de huit enfants, est inquiet. Il craint de devoir bientôt laisser la place si, comme on l’entend régulièrement, la péninsule de Karpaz devait servir de monnaie d’échange et être rendue aux Chypriotes grecs. Et il s’interroge : « Pourquoi le gouvernement n’a-t-il rien investi dans cette région ? On a l’impression que personne ne se préoccupe de nous, que nous sommes des citoyens de seconde zone. Même les Chypriotes turcs n’ont aucune considération pour nous. Mais nous avons vécu, travaillé et vieilli ici. Pourquoi faudrait-il partir ? »
Sultan Sönmez a voté pour Mehmet Ali Talat. Ce qui ne l’empêche pas de rester circonspect : « J’attends maintenant de voir s’il respecte ses engagements, précise-t-il. L’année dernière, nous étions pleins d’espoir. Comme la majorité des Chypriotes turcs, j’ai voté en faveur de la réunification de l’île (NDLR : lors du référendum d’avril 2004 organisé sous l’égide de l’ONU). Aujourd’hui, si c’était à refaire, je crois que je dirais non, parce que j’ai perdu confiance. »
Restaurer la confiance et relancer le dialogue avec les Chypriotes grecs sera la première tâche du nouveau président, qui va devoir maintenant faire la preuve de sa réelle volonté de paix et de changement. Au nord comme au sud de l’île, il sera jugé sur ses actes.