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Une belle promenade dans la diversité musicale d’Istanbul

jeudi 14 juillet 2005, par Thomas Sotinel

Le Monde

Fatih Akin est allemand, né à Hambourg il y a trente-deux ans. Dans ses films, le cinéaste fait souvent l’aller-retour entre son pays natal et celui de ses parents, la Turquie. Crossing the Bridge (« en traversant le pont », pour ceux qui ne parlent ni l’allemand ni le turc) n’est pas le récit d’un voyage (contrairement à ses fictions, Im Juli ou Head On), mais celui du séjour d’Alexander Hacke à Istanbul, bassiste au sein du groupe Einstürzende Neubauten, un des fondateurs du rock industriel. Cette appartenance garantit un esprit musical aventureux et une grande distance entre la musique qu’il pratique et celle qu’il s’apprête à découvrir. Car le projet d’Akin est d’employer Hacke à l’exploration de la vie musicale à Istanbul.

Le film commence par les rockers, sans doute la moins impressionnante des tribus musicales de la ville. Cela a surtout pour avantage de bousculer les attentes que pouvait susciter le film. En regardant ces jeunes gens produire leur musique planante sur la Corne d’or, on découvre les semblables de leurs collègues berlinois ou madrilènes, orphelins de l’histoire musicale de leur ville.

Au fil des déplacements à travers Istanbul, les facettes s’agrègent les unes aux autres : la jeunesse éclatante de la chanteuse kurde Aynur répond à la séduction légèrement frelatée d’Orhan Gencebay, étoile des années 1970, par ailleurs authentique virtuose du saz (luth à long manche). Les artistes enregistrés par Hacke, filmés par Akin, sont tous en prise avec une réalité ou l’autre de la Turquie. Le voyage fonctionne dans l’espace, mais aussi dans le temps. La diva octogénaire Muyezzen Senar renvoie aux temps ottomans, fait deviner un continuum raffiné qui irait d’Istanbul au Caire. Et tout en bas de l’échelle sociale, la musique des Roms ottomans cousine allégrement avec les fanfares des Balkans, une transe faite de clarinette, de darbuka et de violon, alimentée par des quantités de bière.

A la fin de Crossing the Bridge, on est si bien installé dans ce monde turc qu’on est pris d’une réelle émotion en voyant une autre diva, plus jeune, chanter en direct pour Fatih Akin. Pourtant, il y a de bonnes chances pour qu’avant la projection on n’ait pas su grand-chose de Sezen Aksu. Le film résume les trésors de patience qu’il a fallu dépenser pour obtenir le consentement de la chanteuse ; si bien que, lorsqu’elle se rend aux demandes du cinéaste, on pense à Gloria Swanson disant : « Je suis prête pour mon gros plan, M. De Mille », dans le Sunset Boulevard de Billy Wilder.

Il faut être très fin connaisseur de la Turquie pour ne pas être surpris, et particulièrement coincé pour ne pas être enchanté, par cette mise en scène des musiques d’Istanbul.

Documentaire allemand de Fatih Akin. (1 h 30.)

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