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Moyen-Orient / Turquie : L’Europe en ligne de mire

Un pays fier et sûr de lui

jeudi 27 octobre 2005

Courrier International

13 octobre 2005

L’ouverture des négociations avec l’Europe a été accueillie avec joie dans tout le monde musulman.

Le ministre des Affaires étrangères turc, Abdullah Gül, au moment où la bataille diplomatique atteignait son paroxysme, c’est-à-dire le 3 octobre vers midi, était en train de discuter avec l’un de ses homologues européens. Ce dernier, ministre des Affaires étrangères d’un important pays de l’Union européenne, dit à Gül : “Nous ne parvenons décidément pas à convaincre les Chypriotes grecs. Ce serait vraiment très mauvais pour vous si ces pourparlers devaient ne pas commencer. Acceptez donc leurs conditions et qu’on en finisse.” Le ministre turc fit alors part de son désaccord, rappelant les promesses et les documents au bas desquels les Européens avaient apposé leurs signatures. “Comment, malgré tout cela, vous soumettez-vous encore aux moindres volontés des Chypriotes grecs ?” dit-il en interpellant son collègue européen. Celui-ci répondit : “Mais que voulez-vous que l’on fasse ? Les Chypriotes grecs sont membres de l’UE. C’est une des conséquences du fonctionnement de la solidarité européenne. - Sachez, en tout cas, lui rétorqua Abdullah Gül, que cette fameuse solidarité européenne sera perçue avant tout comme l’expression d’une solidarité chrétienne.” La réaction du ministre européen fut immédiate. “Monsieur Gül, s’il vous plaît, ne faites pas de déclaration en ce sens en direction des opinions publiques. Une régression sur le terrain de la religion aurait des effets extrêmement néfastes.” Voilà donc une conversation importante qui a eu pour conséquence que les pressions pesant sur la Turquie se sont finalement déplacées vers les responsables chypriotes grecs. En effet, nombreux sont les Européens qui pensent que la polarisation entre islam et chrétienté pourrait provoquer des tragédies et que, dans ce contexte, la Turquie a précisément un rôle pacificateur à jouer.
Le grand historien Charles Issawi a bien expliqué que les Turcs ont joué un rôle d’avant-garde auprès des sociétés du Moyen-Orient. C’est en effet à partir de la Turquie qu’une série d’institutions et de concepts modernes ont été introduits en Iran et dans le monde arabe. Ce n’est que lorsqu’on prend en compte cette profondeur historique de la Turquie qu’on comprend mieux pourquoi les pays du Moyen-Orient, y compris l’Iran, soutiennent le dessein européen de la Turquie. Ces pays, ainsi que l’Organisation de la conférence islamique, ont accueilli avec joie l’annonce du début des pourparlers d’adhésion entre la Turquie et l’Union européenne, car, selon eux, “ce qui est bon pour la Turquie est bon aussi pour nous”. Même réaction du côté des républiques turcophones d’Asie centrale et du Caucase. Les médias arabes ont soutenu à fond la Turquie au cours du processus qui a mené aux décisions du 3 octobre. La presse arabe a ainsi écrit que “fermer les portes de l’Europe à la Turquie équivaudrait à encourager la guerre des civilisations”. On peut donc dire que, sur le plan de l’économie de marché, de la démocratie, de la rationalisation et des valeurs modernes, la Turquie exerce aujourd’hui dans sa profondeur géographique une influence déterminante.
Pourquoi notre marche historique a-t-elle systématiquement pris la direction de l’Occident ? Pourquoi nous sommes-nous dotés d’un Etat centralisé ? Et pourquoi avons-nous connu une longue suite de réformes ? Quelle autre société de notre région moyen-orientale a connu les expériences diplomatiques exceptionnelles qu’ont été le traité de Karloftcha [Karlovitch] (1699), la conférence de Paris, le congrès de Vienne ou encore la conférence de Lausanne (1923) ? Nos pseudo-nationalistes, profondément antieuropéens, qui n’ont sans doute jamais ouvert un manuel d’histoire, n’ont pas conscience de la profondeur historique de notre pays et continuent de considérer la Turquie comme une république bananière impuissante qui n’aurait aucune confiance en elle. Le 3 octobre, la Turquie s’est certes lancée sur une voie longue et difficile ; néanmoins, il ne fait pas de doute que cette “Turquie profonde” réussira son pari.

Taha Akyol
Milliyet

Vienne tête de Turc

En s’opposant à l’ouverture des négociations avec la Turquie, l’Autriche est devenue la bête noire des médias d’Istanbul. Le quotidien nationaliste Hürriyet rappelle ainsi que Vienne “a échappé au tribunal pour sa participation enthousiaste aux crimes de guerre nazis, ce qui a permis aux mouvements fascistes de s’enraciner dans ce pays”.

ÉCLAIRAGE

Les raisons du soutien israélien

Si Tel-Aviv appuie l’entrée de la Turquie dans l’UE, c’est parce qu’il voit dans ce pays de 71 millions de musulmans le cheval de Troie capable d’empêcher la constitution d’une Europe politique.

Beaucoup a déjà été écrit en faveur de l’entrée de ce grand pays musulman qu’est la Turquie dans la famille européenne : géographiquement et surtout historiquement, ce pays est une partie indissociable du continent ; son adhésion affaiblira l’islam radical ; et, par-dessus tout, la Turquie sera la tête de pont de la réconciliation entre islam et chrétienté.
La question de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne n’est pas sans impact sur Israël. Depuis 1993, les deux pays mènent une politique commune au Moyen-Orient, même si cette romance a des hauts et des bas. L’Etat juif et l’Etat turc ont contracté une alliance forte dans les domaines militaire, sécuritaire, diplomatique, économique et technologique, une alliance d’acier dont n’est pas venue à bout la dernière Intifada. Il n’est dès lors pas surprenant qu’Israël soutienne ouvertement et chaleureusement la demande d’adhésion de la Turquie.
Les dirigeants israéliens espèrent que l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne rapprochera géographiquement l’Europe d’Israël et ouvrira à Israël, le conflit israélo-palestinien une fois résolu, la voie d’une adhésion. Les responsables israéliens pensent que l’adhésion à l’Union européenne d’un pays ami réduira les pressions exercées sur Israël par un bloc politique souvent hostile. Enfin, un mobile non négligeable est qu’un refus européen à l’entrée de la Turquie dans l’UE risque de revigorer le fondamentalisme musulman et d’aggraver l’isolement régional d’Israël. Toutefois, ces arguments en faveur de l’adhésion turque ont leur revers. La proximité géographique de la Turquie “européenne” risque d’accentuer l’isolement d’Israël dans un Moyen-Orient qui, après la “défection” de la Turquie, sera plus arabe et de moins en moins démocratique. Les responsables israéliens des Affaires étrangères auraient-ils oublié que, même avant le dernier élargissement de l’UE, Israël a dû déployer d’immenses efforts dans les anciens pays d’Europe de l’Est. Or il n’a pas fallu attendre deux mois d’adhésion à l’UE pour que ces pays épousent la ligne des anciens membres et votent à l’ONU contre Israël dans le dossier de la clôture de séparation. Ne faut-il pas craindre que même la Turquie, si elle devait un jour rejoindre l’UE, rompe l’ancienne alliance avec Israël ?
L’explication est peut-être ailleurs. Si Israël apporte un soutien sans faille à l’adhésion de la Turquie, c’est pour exactement les mêmes raisons que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Ce faisant, on ne fait qu’amplifier les craintes européennes face à des millions d’ouvriers turcs qui risquent de déferler sur le continent et de faire exploser les taux de chômage, face à un Etat de poids égal à l’Allemagne unifiée, mais dont les 71 millions d’habitants musulmans ne gagnent que le tiers du revenu moyen des Européens chrétiens. Face à ces angoisses, on a plutôt l’impression qu’Israël voit dans la Turquie le cheval de Troie susceptible d’enrayer la construction d’une fédération européenne. Trop de dirigeants israéliens craignent en effet qu’une telle fédération continentale ne finisse par constituer un bloc politique hostile à Israël.

Sharon Pardo
Yediot Aharonot

LOBBYING

Merci aux Anglo-Saxons et aux Juifs

Grande plume de la presse turque, Mehmet Ali Birand exprime sa gratitude vis-à-vis de Washington, de Londres et de “tout ce qui est sous influence juive”.

“Qui donc soutient actuellement la Turquie ?” Voilà la question que j’ai posée à un diplomate turc au moment des négociations menées à Luxembourg. En effet, les gouvernements européens ont entamé les pourparlers d’adhésion avec Ankara malgré l’opposition de leurs opinions publiques. S’ils s’étaient soumis à la pression populaire, ils auraient dû retarder cette échéance. Dans ce contexte, on peut donc s’interroger sur les soutiens dont bénéficie actuellement la Turquie. Le diplomate expérimenté auquel je m’adressais n’a pas hésité un instant avant de me répondre : “Ceux qui soutiennent la Turquie sont les Anglo-Saxons et les Juifs.” Et plusieurs observateurs m’ont confirmé cette réalité.
1. Les institutions juives, ainsi que tout ce qui est sous influence juive, ont discrètement exercé des pressions pour que la Turquie puisse s’unir à l’UE.
2. Les vents qui ont poussé la Turquie sont d’origine anglo-saxonne. Le vent commence en effet à souffler depuis Washington, gagne en vitesse au-dessus de la Grande-Bretagne, passe au-dessus de la Suède et de la Norvège, ainsi que de l’Europe centrale (Pologne et Hongrie), avant de secouer Bruxelles. En d’autres termes, si Washington et Londres n’avaient pas été derrière Ankara, la Turquie volerait de crise en crise. La diplomatie britannique a ainsi montré sa capacité d’influence et s’est donc affirmée comme le cerveau de l’Europe. En introduisant Washington dans le jeu au moment où la crise semblait totalement insoluble, Londres a fait montre de sa force, alors que les autres se perdaient en palabres inutiles. Ankara n’aura désormais plus d’autre choix que d’élaborer ses politiques en tenant compte de ses relations avec Washington, Londres et Israël.

Mehmet Ali Birand
Hürriyet

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