N’ayons pas peur d’assumer nos opinions et convictions. Une semaine après l’ouverture des négociations avec la Turquie, on ne peut qu’être stupéfait du silence de la plupart des partisans de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne comme si cette position était devenue honteuse parce que les sondages montrent que les français sont aujourd’hui hostiles à 60 % au projet d’intégration. Ceux-là oublient qu’en 1963, quand le général de Gaulle et le chancelier Adenauer ont signé le traité de l’Elysée symbolisant la réconciliation, les Français n’éprouvaient que méfiance à l’égard de l’Allemagne. Ils oublient également que l’adhésion de l’Espagne et du Portugal qui apparaît aujourd’hui comme une évidence suscitait l’hostilité des français. C’est à deux voix près, celles de Giscard et de Barre qui s’étaient ajoutées à celle de la gauche, que l’Assemblée Nationale adoptait il y a vingt ans le projet d’adhésion de ces deux pays.
La mission du politique, ce n’est pas seulement de gérer le quotidien, c’est de tracer l’avenir en prenant des décisions qui ne sont pas dictées par l’opinion du moment mais par une vision de l’intérêt général à long terme et par des convictions. Sur le dossier turc, reconnaissons à Jacques Chirac d’avoir su éviter tout populisme et d’avoir défendu une vraie vision du projet européen que l’on peut ou non partager. Au demeurant, c’est le seul leader politique français a avoir salué l’acte historique que constitue le début des négociations avec Ankara. Au PS, chez les Verts, au PC tous favorables à l’adhésion, on ne peut que remarquer la plus grande discrétion. Où est donc le courage politique dans cette affaire ?
Rappelons également le mensonge politique de ceux qui chez de Villiers, chez Le Pen et ailleurs, avaient assuré que voter non à la Constitution européenne, c’était dire non à la Turquie. Il n’y avait aucun lien entre les deux sujets puisque c’est le 17 décembre 2004 - 6 mois avant le référendum français - que le Conseil européen avait décidé l’ouverture des négociations d’adhésion. Ceux-là aussi se sont fait discrets depuis le 3 octobre.
Alors, saluons la détermination de la Turquie qui a fait depuis l’effondrement de l’Empire Ottoman en 1920 le choix de l’Europe. Un choix aujourd’hui supporté par la population turque pour qui adhérer à l’Union, c’est d’abord et avant tout « adopter les valeurs européennes de démocratie, de droits de l’Homme et de modernité ». C’est rompre également avec l’instabilité politique et une longue tradition de coups d’état. C’est aussi le rêve de partager un supposé « European way of life », mélange de bien être et de protection sociale. C’est enfin la croyance qu’à force de le vouloir on peut devenir européen en dépit de traditions parfois archaiques. A la question, « voulons-nous vivre ensemble ? », les Turcs répondent donc oui. L’intégration de la Turquie pose un double défi à l’Union auquel elle devra répondre avant d’accueillir Ankara. D’abord un défi philosophique : est-on européen du fait de critères exclusivement géographiques et religieux ou l’appartenance à l’Union se fonde-telle sur une communauté de valeurs et la volonté de partager un destin commun ?. Ensuite un défi de gouvernance, si l’Europe élargie veut peser sur le monde de demain, elle doit faire le choix d’un mode d’organisation fédéral qui lui donne la capacité de décision à 25 ou 30.
En ce qui me concerne, je suis donc pour une Europe fédérale fondée sur une communauté de valeurs dynamiques. J’ai la conviction qu’un peuple fût-il musulman déterminé depuis plus de 80 ans à adopter les valeurs européennes mérite non seulement de rejoindre l’Union mais peut également la renforcer.
Par Guillaume Klossa, président d’Eurpanova(11/10/2005)klossametro@yahoo.fr