Il y a un an, l’Union européenne, après avoir longtemps tergiversé, acceptait d’ouvrir des négociations d’adhésion avec la Turquie. Depuis cette date, les pourparlers ont peu avancé. Ils achoppent en particulier sur le refus des Turcs d’ouvrir leurs ports et leurs aéroports aux navires et aux avions chypriotes, comme les y oblige le protocole d’Ankara, qui étend aux nouveaux Etats membres, Chypre incluse, l’union douanière entre la Turquie et l’UE. Ils sont également contrariés par le manque d’empressement du gouvernement turc à mettre en œuvre les réformes promises pour renforcer la démocratie.
« Nous attendons des résultats concrets et durables, notamment dans le domaine des droits de l’homme, des libertés d’expression et de culte, ainsi que du respect des minorités », a rappelé récemment devant le Parlement européen, au nom de la présidence de l’Union, la ministre finlandaise du commerce extérieur, Paula Lehtomäki. Au nom de la Commission, qui présentera le 8 novembre son rapport sur les progrès accomplis, le commissaire à l’élargissement, Olli Rehn, a invité Ankara à prendre de nouvelles initiatives afin de répondre aux critères.
De part et d’autre, le climat se tend. Du côté européen, on commence à douter de la volonté des Turcs de se plier aux exigences de l’Union. Du côté turc, on soupçonne les Européens d’être hostiles à toute perspective d’adhésion. Les opinions publiques manifestent de plus en plus ouvertement leurs réserves. Le soutien à l’adhésion est en baisse aussi bien en Europe qu’en Turquie. L’inquiétude s’accroît d’un côté, la désillusion de l’autre.
Quelle peut être la suite des événements ? Le think tank bruxellois Friends of Europe tente de répondre à cette interrogation en publiant, sous la signature d’une spécialiste britannique des affaires européennes, Kirsty Hugues, une étude qui décrit quatre scénarios possibles. Le plus pessimiste est celui d’une suspension des négociations, provoquée par le conflit sur Chypre.
Pour le moment, la Turquie affirme qu’elle n’ouvrira ses ports et ses aéroports que si l’Union met fin à l’isolement des Chypriotes turcs. L’Union refuse d’établir un lien entre les deux questions. Si chacun des deux camps reste sur ses positions, une rupture n’est pas à exclure.
Le scénario le plus optimiste est celui d’un compromis sur Chypre, qui répondrait partiellement aux demandes d’Ankara sur la situation des Chypriotes turcs et permettrait en retour d’obtenir des concessions sur l’application du protocole. Selon l’auteur, ce n’est pas l’hypothèse la plus probable. A supposer même que cet obstacle soit levé, la Turquie devrait encore accélérer ses réformes démocratiques pour que les négociations progressent.
Kirsty Hughes, qui aime les métaphores ferroviaires, compare le scénario négatif à une « grave collision » et baptise le scénario positif « à toute vapeur ».
Elle envisage aussi deux hypothèses intermédiaires :
la moins grave est celle d’un « déraillement mineur », la plus grave celle d’une « voie de garage ». Le « déraillement mineur » entraînerait le gel d’un petit nombre de chapitres, directement liés à l’union douanière, la « voie de garage » correspondrait à un important ralentissement des négociations, assorti éventuellement d’une menace de suspension. Dans les deux cas, les relations entre l’UE et la Turquie subiraient des dommages qui pourraient conduire à une crise sérieuse.
Dans ce jeu d’intimidations réciproques, le risque d’un dérapage incontrôlé est réel. Des déclarations intransigeantes, d’un côté comme de l’autre, entretiennent la méfiance. Si les deux parties ne renouent pas le dialogue, le champ sera laissé au retour en force des nationalismes, dont on voit qu’ils reprennent de la vigueur en Turquie comme dans nombre d’Etats membres.