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Négation du génocide arménien : cette loi alimente les nationalismes

dimanche 29 octobre 2006, par Bernard Dreano

Politis n° 922 - jeudi 19 octobre 2006
Sauvons Politis

Deux événements ont eu lieu le 12 octobre : l’attribution du prix Nobel de littérature au Turc Orhan Pamuk et le vote au Parlement français d’une proposition de loi sanctionnant la négation du génocide des Arméniens dans l’empire Ottoman en 1915.
L’analyse de Bernard Dreano*.

Les jurés du Nobel ont salué les qualités littéraires de l’auteur de la Vie nouvelle, Mon nom est rouge ou Neige en sachant qu’Orhan Pamuk avait souligné la responsabilité turque dans le massacre « d’un million d’Arméniens » (1) et avait été poursuivi en Turquie à ce sujet. Pamuk pense qu’un roman « n’exprime pas seulement les joies et les fiertés d’un peuple, mais aussi sa colère, ses faiblesses et sa honte » (2). Il fait partie de ces Turcs qui savent qu’un pays doit se confronter à son histoire, notamment à ses faces les plus sombres.

Nos amnésies françaises devraient nous permettre de comprendre à quel point cette démarche indispensable est difficile. Ces dernières années, des initiatives en ce sens se sont multipliées en Turquie, à l’initiative d’intellectuels, de jeunes, de milieux économiques ou politiques, désireux d’adhérer à l’Union européenne et de normaliser les relations avec la République d’Arménie voisine. L’arrivée au pouvoir du gouvernement Erdogan, moins nationaliste que ses prédécesseurs, a favorisé cette tendance, notamment en améliorant les libertés d’association et d’expression. Mais l’armée et les nationalistes « laïques », extrêmement puissants dans tous les appareils de pouvoir, contrecarrent cette évolution et instrumentalisent la question du génocide. En 2005, quand on avait déjà cité Pamuk comme « nobélisable », Murat Belge, fondateur du réseau Helsinki Citizens’ Assembly en Turquie, avait déclaré : « Le front nationaliste est convaincu que le monde entier conspire contre la Turquie, et pense que ce prix ne saurait être attribué à un écrivain turc sauf s’il assure au monde extérieur qu’il est, et restera, un traître à la patrie (3). » Pourtant, le dialogue arméno-turc et le réexamen des pages noires de l’histoire ont progressé, les poursuites contre Murat Belge, Orhan Pamuk, etc. ont été annulées ou repoussées malgré le zèle de magistrats nationalistes.

C’est dans ce contexte que, loin de la Turquie, les socialistes français ont proposé l’actuelle loi. Pour les centaines de milliers de personnes d’origine arménienne en France, descendantes des survivants du génocide, il est tout à fait normal d’entretenir la mémoire de la tragédie, et d’œuvrer pour qu’elle soit partie prenante de la mémoire collective de la société française, dont elles font partie. Le fait que d’autres mémoires soient refoulées ou niées ne saurait en aucun cas justifier l’amnésie, et a fortiori la négation, du génocide des Arméniens. Si les crimes de la guerre d’Algérie ont été « effacés » par la loi, une loi a reconnu en 2001 le génocide commis par les Ottomans. Mais cette loi n’a pas facilité la tâche de ceux qui, là ou c’est essentiel, c’est-à-dire en Turquie, se battent pour la reconnaissance. Les députés français n’ont tenu aucun compte de ce fait, ils ont ignoré l’appel de ces Turcs pour qui « aucun être doté d’humanité ne saurait nier la barbarie de 1915 », et qui leur disaient : « Indépendamment des intentions qui la motivent, une telle loi ne pourrait que nuire à l’avancée du travail de mémoire et de réflexion [...]. À coup sûr, elle rendra encore plus difficile l’effort de ceux qui œuvrent en Turquie ou ailleurs pour la réussite de ce processus (4). » Les députés ont également ignoré les objections des Arméniens de Turquie comme le journaliste Hrant Dink ou le patriarche Mesrob Mutafyan.
(1) Dans le journal suisse Tages-Anzeiger en février 2005.
(2) Le Monde, 25 octobre 2005.
(3) Le Monde, 30 octobre 2005.
(4) Libération, 10 mai 2006.

* Président du réseau international Helsinki Citizens’ Assembly (HCA), représenté en France par l’Assemblée européenne des citoyens.
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