La Turquie a obtenu, malgré l’opposition de l’Autriche, l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Union européenne dans la nuit de lundi à mardi. C’est visiblement avant tout pour des questions de politique intérieure que le chancelier Wolfgang Schüssel a été si réticent.
Plus de peur que de mal pour la présidence britannique, puisque, finalement, l’Autriche a accepté l’ouverture des négociations avec la Turquie en échange de la même chose pour la Croatie. Dans la nuit de lundi à mardi, les négociations ont officiellement été ouvertes, au grand dam des Autrichiens, à 80% contre l’adhésion de la Turquie.
Actuellement, ils votent pour renouveler la composition du parlement de chaque région (ou Land, en allemand) et celle du Bundesrat (l’équivalent du Sénat en France, qui regroupe les représentants des Länder). Bien que Wolfgang Schüssel, le chancelier autrichien, ait déclaré dimanche dernier sur la radiotélévision publique ORF, qu’établir un lien entre les négociations avec la Turquie et ces élections, était un « non-sens considérable », on peut en douter. Le jour même, son parti a perdu le land de Styrie. Depuis 50 ans, la Styrie était acquise à l’OVP (droite démocrate chrétienne, conservatrice). Dimanche, le parti de Wolfgang Schüssel a perdu plus de huit points par rapport aux dernières élections et le SPO (gauche socio-démocrate) en a gagné une dizaine. Désormais, la gauche gouverne la Styrie. Ce week-end, c’est au tour du Burgenland de voter, et l’OVP ne part pas favorite.
Se refaire une santé
Dans ces conditions, l’OVP doit se refaire une santé dans l’opinion publique : la position du gouvernement sur la Turquie a flatté un électorat qui craint une invasion des travailleurs turcs, selon le politologue Anton Pelinka. N’oublions pas aussi, souligne-t-il que l’alliée de l’OVP, l’extrême droite, est en perte de vitesse. Divisée en deux formations rivales, elle n’a obtenu que 6,2 % de voix en Styrie. Et n’est plus créditée que de 7 % à 8 % des voix à l’échelle nationale.« Wolfgang Schüssel a choisi de jouer la carte populiste pour redresser la situation », de plus, le gouvernement Schüssel semble vouloir couper l’herbe sous le pied à son opposition sociale-démocrate, elle aussi contre cette adhésion, et éviter que l’extrême-droite ne se refasse une santé à ses dépens sur ce dossier sensible, explique Anton Pelinka.
A cause de sa politique intérieure, Wolfgang Schüssel ne pouvait visiblement pas faire autrement que provoquer une crise au niveau de l’Union européenne. Qu’en sera-t-il pour la suite puisque l’Autriche prend la présidence de l’Union européenne au 1er janvier 2006, pour six mois ?
Un long chemin pour la Turquie
Ce n’est pas le seul obstacle pour Ankara. Beaucoup de choses peuvent encore se passer avant que l’adhésion de la Turquie intervienne d’ici dix ou quinze ans. José-Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, a prévenu que l’entrée de la Turquie dans l’UE n’était « ni garantie ni automatique » et que ce pays devait « gagner le cœur et l’esprit des citoyens européens. Ce sont eux qui en fin de compte décideront de l’adhésion de la Turquie ». Les Vingt-Cinq ont réaffirmé à Luxembourg que l’éventuelle entrée de la Turquie sera conditionnée à la « capacité d’absorption » de l’Union européenne. Le pays, qui compte aujourd’hui 72 millions d’habitants, serait le plus peuplé de l’Union et nécessiterait entre 16 et 28 milliards d’euros de fonds européens par an en 2025.
De plus, Ankara va devoir intégrer dans son corpus juridique les 80 000 pages de directives, lois et règlements qui constituent l’« acquis communautaire », le socle juridique commun à tous les membres de l’UE. D’ici là, peut-être réussira-t-elle à convaincre les opinions des pays membres qu’elle n’est pas une ennemie. Notamment la France, qui prévoit un référendum à l’issue des négociations. Actuellement, dans l’hexagone, 60% des électeurs s’opposent à l’intégration, sans parler de l’Allemagne où 74% de la population refuse l’entrée de la Turquie en Europe.