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La Turquie face à la nouvelle Europe

lundi 26 avril 2004, par Dominique Moïsi

Logo de l'IFRI Le 6 juin, sur les plages de Normandie, on ne célébrera pas seulement le soixantième anniversaire du Débarquement, mais le triomphe de la réconciliation entre la France et l’Allemagne, symbole du projet de réconciliation de l’Europe avec elle-même. Pour la première fois, le chancelier d’Allemagne sera associé aux célébrations d’un moment décisif dans la victoire sur le nazisme.

L’Europe, désormais réconciliée avec elle-même, avec son histoire tout autant qu’avec sa géographie, depuis son passage de 15 à 25 membres, doit poursuivre dans la voie de la réconciliation, en appliquant cette idée à l’« autre proche », c’est-à-dire la Turquie. Avant-hier, ce qui menaçait l’Europe, c’était la force autodestructrice de ses nationalismes. Hier, du temps de la guerre froide, le conflit opposait deux idéologies issues de l’Occident, capitalisme et marxisme. Le défi, aujourd’hui, est d’une tout autre nature ; il est idéologique et culturel, sinon religieux, et vise la relation entre l’Occident et une partie dévoyée de l’islam. C’est dans ce contexte qu’il convient de replacer la question de la candidature turque à l’Union.

Quel est le plus grand risque pour l’Europe de demain ? Celui de dire « oui » à la Turquie et d’accroître le poids de l’islam dans l’Union, à proximité de pays aussi « stables et sympathiques » que la Syrie et l’Irak ? Mais le risque de dire « non » à la Turquie n’est-il pas plus considérable encore ? Peut-on, après l’avoir mené en bateau, de fausses en vaines promesses, pendant quarante ans, prendre le risque de dire « non » au pays qui incarne une rare expérience de modernité, de démocratie et de laïcité dans le monde musulman ? Un pays dont les élites se sentent et sont européennes, un pays dont l’ancrage « occidental » pourrait se trouver, à terme, remis en question par un refus qui repousserait les héritiers de l’Empire ottoman et d’Atatürk dans un monde oriental toujours plus complexe.

Au moment où Américains et Européens se demandent comment lutter contre les causes profondes du terrorisme et prévenir ce qui pourrait devenir un conflit de civilisations, l’entrée de la Turquie démocratique dans l’Union européenne serait un message d’espoir, un pari positif sur l’avenir. Aujourd’hui, il n’existe, dans l’Union européenne, que deux pays qui ont encore une « culture de défense » : la France et la Grande-Bretagne ; ils seraient trois avec la Turquie. Pour une Europe qui se veut une puissance demain, ce serait un apport plus que significatif. Pour des pays de l’Union qui se demandent comment dépasser les échecs de l’intégration de leurs minorités musulmanes, l’entrée de la Turquie constituerait un message fort, une alternative ouverte et généreuse au dialogue de sourds qui tend à s’instaurer, entre méfiance et intolérance.

Certes, il existe, aujourd’hui, un contraste entre gouvernements et opinion publique sur ce sujet. Si une majorité d’États, derrière la Grande-Bretagne, soutient désormais la candidature turque, ce n’est pas le cas des opinions publiques. S’il y avait un référendum sur l’entrée de la Turquie, une claire majorité répondrait par la négative.

Comment l’Union pourra-t-elle surmonter cette contradiction entre vision stratégique et respect démocratique ? Comment, au lendemain d’un élargissement qui n’est déjà applaudi que du bout des lèvres par une majorité des Européens, imposer une Turquie dont les peuples, par peur ou préjugé ­ certains diraient sagesse ­ ne veulent pas ? Aggraver le déficit démocratique de l’Europe ou approfondir la faille entre l’islam et l’Occident, rendre plus difficile la réconciliation entre l’Europe et ses musulmans, ne pas permettre l’apparition d’un islam européen, le choix est pour le moins difficile.

Entre la valeur de la géographie et la géographie de l’espoir, sinon la géographie des valeurs, l’Europe doit faire un choix qui engage son avenir et qui supposerait un débat démocratique en profondeur.

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