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La turcophobie Européenne

dimanche 16 octobre 2005, par Guy Millière

Les 4verites.com
Dimanche 16 octobre 2005

Les débats menés en France ces derniers temps concernant la Turquie me paraissent pour l’essentiel fondamentalement viciés. La Turquie devient le grand défouloir de toutes les phobies françaises.

1. De tous les arguments opposés à la Turquie, celui de Chypre me semble le plus imprégné de mauvaise foi. Il est évident que la Turquie ne peut reconnaître Chypre tant que le problème de la partition de l’île n’est pas réglé. L’Union européenne aurait dû faire de ce règlement un préalable à l’admission de Chypre en Europe, et s’est rendue coupable de ne pas l’avoir fait. La partition de Chypre a été le fruit du renversement du gouvernement chypriote par les colonels grecs et de la tentative par ceux-ci d’annexer l’île à la Grèce. C’est bel et bien la Grèce qui a rompu l’équilibre qui existait et a entraîné l’intervention de l’armée turque, destinée à défendre les chypriotes turcs. Un projet de réunification de l’île a été proposé l’an dernier : les chypriotes turcs l’ont accepté, les chypriotes grecs l’ont massivement rejeté. Personne ne dit ce que devraient devenir les chypriotes turcs si la Turquie devait s’en désintéresser. L’Europe entend-elle, avec la complicité des chypriotes grecs, créer un ghetto sur l’île de Chypre ?
Chypre fit partie de l’empire ottoman avant de devenir protectorat anglais et de devenir un pays indépendant. Ce n’est pas la Turquie mais la Grèce qui a mis le feu aux poudres, l’Europe s’honorerait à prendre le problème à bras-le-corps et à montrer que les chypriotes musulmans ne sont pas pour elle des sous-hommes par comparaison avec les chypriotes chrétiens.

2. Les autres arguments ne tiennent guère debout et reposent pour l’essentiel sur une incompréhension grave du monde dans lequel nous vivons. « La Turquie n’est géographiquement pas en Europe » ? Qu’on me démontre alors en quoi l’île de Chypre est en Europe ; qu’on me démontre aussi en quoi, géographiquement, l’Europe est autre chose qu’un prolongement de l’Asie.
« Avec la Turquie en Europe, c’en serait fini de la possibilité d’une Europe puissance politique » ? Certains devraient ouvrir les yeux et voir que c’en est d’ores et déjà fini de la perspective de créer une Europe puissance politique. L’Europe a permis la paix, des synergies juridiques et économiques, elle ne sera jamais une puissance politique : ou bien on s’y apercevra que les pays d’Europe font partie de la grande famille des sociétés ouvertes dont les États-Unis sont la puissance essentielle, et en ce cas, on comprendra que la vocation des sociétés ouvertes est d’arrimer à elles d’autres sociétés ouvertes ; ou bien on ne comprendra pas et l’Europe sombrera. Il n’y aura pas de défense européenne : la défense de l’Europe s’appelle l’Otan, et il n’existe pas de moyens financiers de créer une défense de rechange.
« La Turquie remettrait en cause l’Europe en tant que continent chrétien » ? Non seulement l’Europe est une région déchristianisée, à la différence des États-Unis, mais elle est un continent déjà très islamisé. Renouer des liens plus étroits avec les États-Unis permettrait à l’Europe de redécouvrir l’éthique chrétienne et même l’éthique judéo-chrétienne : cela la rapprocherait non seulement des États-Unis, mais d’Israël. L’Europe devrait aussi discerner qu’elle est au c�ur de la bataille mondiale pour le c�ur de l’islam. Ou l’islam du futur sera celui des djihadistes et le futur de l’Europe s’annonce sombre. Ou l’islam du futur sera un islam compatible avec la démocratie et l’État de droit. L’islam compatible avec la démocratie et l’État de droit se forge en Afghanistan et en Irak, et nous ferions bien de comprendre que la bataille pour l’islam de France commence à Bagdad (à quand une visite en France de Jalal Talabani, président de l’Irak libre ?).
L’islam compatible avec la démocratie se forge en Turquie aussi, et si la société turque n’est pas parfaite, si Erdogan est parfois équivoque, nous gagnerions davantage à le prendre au mot qu’à humilier les Turcs. Notre intérêt est une Turquie arrimée à l’Occident, pas une république islamique turque : faisons attention qu’en jouant avec le feu xénophobe, nous ne finissions par nous brûler.
Ceux qui s’intéressent de façon scrupuleuse à la question arménienne peuvent lire l’excellent article de Gunther Loewy dans le dernier numéro de Middle East Quarterly.

Par Guy Millière

Philosophe, économiste, professeur d’histoire des idées et des cultures a Paris VIII

Participe aux travaux de plusieurs think tanks, dont l’American Enterprise Institute et la Hoover Institution. Spécialiste des États-Unis ou il enseigne également.

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