Au premier regard, tout est simple. Durant la Première Guerre mondiale, au moment où s’effondrait l’empire ottoman, les Turcs ont exterminé quelques deux tiers des Arméniens de Turquie, un million deux cent mille personnes au bas mot, considérés à la fois comme alliés des Russes et comme une menace à l’homogénéité d’un pays autrefois multinational mais en train de se réduire à sa métropole turque.
Cette extermination, ce génocide, n’a pas eu la dimension industrielle du génocide juif. Il fut, si l’on ose dire, artisanal, villages passés au fil de l’épée et files de déportés, surtout, que l’on faisait marcher jusqu’au trépas mais, au-delà des moyens mis en œuvre, ce meurtre d’un peuple fut le premier des trois génocides du XX ième siècle, avant celui des Juifs et, tout récemment, des Tutsis.
Etablie, documentée, cette abomination a pourtant toujours été niée par la Turquie qui ne reconnaît pas plus de cinq cent mille morts, attribuées à un contexte de guerre et à des affrontements communautaires dont les musulmans auraient également été victimes.
Terre d’accueil des Arméniens qui sont aujourd’hui quelques quatre cent mille à y être nés, la France a reconnu en 2001 la réalité de ce génocide par un vote de son Parlement. Examiné, ce matin, par l’Assemblée nationale, un projet de loi socialiste propose maintenant de punir d’amendes et d’emprisonnement la négation de ces faits mais il suscite de si fortes réserves que son adoption est loin d’être assurée.
Le premier problème, de principe, est soulevé par les meilleurs des historiens qui s’inquiètent de l’inflation de lois sur l’Histoire. Ce n’est pas aux députés qu’il revient d’écrire l’Histoire, disent-ils, mais aux historiens car même lorsque des faits sont établis et que leur négation est inadmissible, de nouvelles recherches doivent constamment permettre de réévaluer les faits, de les mettre dans de nouvelles perspectives et d’en proposer de nouveaux éclairages.
La loi, expliquent-ils, ne peut ni ne doit figer la lecture des événements sous peine d’inhiber, voire interdire, le travail des spécialistes qui ne cessent, de fait, et à juste titre, de proposer de nouvelles perceptions des réalités passées, effondrement romain, Guerre de sécession ou Révolution russe ou tout autre.
Deuxième problème, soulevé celui-là par des historiens spécialistes, et non des moindres, de l’empire ottoman, la question de l’intentionnalité génocidaire. Dérisoire, voire insupportable, au regard des victimes, elle se pose pourtant car beaucoup d’Historiens, qui ne nient en rien les faits ni ne les sous-estiment, estiment qu’il n’y a pas eu volonté d’exterminer les Arméniens parce qu’Arméniens comme l’ont été les Juifs ou les Tutsis mais parce qu’ils étaient considérés comme une menace dans des régions données.
Le débat est vif est le troisième problème est celui de l’opportunité politique car de nombreux intellectuels, historiens et journalistes turcs sont en train de faire évoluer leur pays sur le génocide arménien, de briser le tabou et qu’une nouvelle loi française gênerait en crispant les positions, leurs efforts.
Ce qui paraît simple n’en est pas moins complexe.