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Les géants industriels turcs prêts à bondir

samedi 30 septembre 2006, par Jean-Marc Philibert

Source : Le Figaro

Pour être plus forts à l’international, les conglomérats turcs ont compris qu’ils devaient aujourd’hui se séparer de certains segments et concentrer leurs activités sur deux ou trois sécteurs.

KOÇ, Sabanci, Dogus, Cukurova... Ces noms sont familiers sur les rives du Bosphore, mais peu d’étrangers en ont encore entendu parler. Une situation qui pourrait bien changer dans un futur proche. Loin des feux de l’actualité financière internationale, les grands groupes turcs, portés par une des croissances les plus dynamiques du continent, fourbissent en effet leurs armes discrètement. Objectif, devenir des poids lourds internationaux et se lancer à l’assaut du marché global. Autant s’y préparer : le jour où, à l’image de l’indien Mittal, l’un d’entre eux procédera à une acquisition majeure de l’un de nos champions nationaux pour devenir numéro un mondial de son secteur, est peut-être proche.

Dans le quartier des affaires de Levent, sur la rive européenne d’Istanbul, les buildings ultramodernes des multinationales turques se succèdent le long des avenues engorgées par la circulation. Le bruit est infernal, la chaleur étouffante, mais dans les bureaux climatisés, cartes d’état-major épinglées aux murs, une nouvelle génération d’hommes d’affaires, cosmopolites et éduqués dans les meilleures universités américaines et européennes, planche déjà sur ses futures acquisitions. Kazakhstan, Turkménistan, Ouzbékistan, mais aussi Roumanie, Ukraine, Russie et déjà Allemagne, France ou États-Unis... ces businessmen tissent la toile où viendront tomber leurs futures proies.

Dans cette offensive en gestation, quelques secteurs de prédilection commencent déjà à se dessiner. Énergie, équipements automobiles, pneumatiques, banque et finance, BTP... c’est probablement sur l’un de ces fronts que portera la grande bataille à venir.

En attendant, ces grands conglomérats familiaux, dont les sièges se succèdent le long du Bosphore, n’ont jamais paru aussi dynamiques. Généralement constitués au siècle dernier, ils avaient jusque-là grossi en travaillant main dans la main avec le gouvernement. Mais, aujourd’hui, rien n’est plus comme avant. « L’économie turque a vécu une révolution depuis 2001 quand est survenue la dernière grande crise financière, explique François Sporrer, le patron de la mission économique française à Istanbul. Jusque-là, l’instabilité économique et politique du pays les avait contraints à ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier. Cette période est révolue. »

Objectifs stratégiques à long terme

A l’époque, ces groupes cumulaient des activités aussi disparates qu’opportunistes. Koç, le premier groupe du pays, était ainsi présent dans l’énergie, le BTP, le commerce de détail, la banque ou encore l’éducation. Son dauphin, Sabanci, gérait de son côté pas moins de 65 activités différentes, allant du textile au tabac, en passant par le ciment ou la production de papier. Une façon de disperser les risques, mais aussi un handicap pour ces mastodontes, incapables dans de telles conditions, d’être réactifs.

Lorsque le système bancaire turc s’effondre en 2001, les grands conglomérats familiaux croient voir leur stratégie confortée. Mais dans la foulée, conséquence inattendue de la récession, les électeurs portent au pouvoir les islamistes modérés de l’AKP (le parti de la justice et du développement). Privés de la manne des commandes publiques, Koç, Sabanci ou Anadolu entament une douloureuse restructuration. Mais le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, et l’AKP doivent eux aussi naviguer prudemment sur cette terre de révolution kémaliste. Sous la surveillance étroite de l’armée, un des piliers de la société turque qui garantit notamment le maintien de la laïcité dans le pays, le parti y gagne ses galons de bon gestionnaire. Il maîtrise l’inflation, favorise la création d’emplois, restaure une croissance dynamique et permet à la monnaie nationale, la nouvelle livre turque amputée de 6 zéros, de retrouver la confiance des investisseurs.

Voilà donc les conditions réunies pour permettre aux grands groupes turcs de se remettre en ordre de bataille. Signe des temps : les multinationales définissent désormais leurs objectifs sur le long terme. « Nous avons mis en place depuis quelques années un plan de croissance à dix ans, explique Ahmet Dördüncü, le PDG de Sabanci Holding, le deuxième plus gros groupe du pays. Avant 2001, nous ne pouvions que prévoir notre budget d’une année sur l’autre. »

Forts de cet environnement économique stabilisé, une première depuis 50 ans, les conglomérats turcs sont aujourd’hui passés à la vitesse supérieure. « Ils ont compris que, s’ils voulaient devenir de grands groupes internationaux, ils devaient se séparer de certains segments et se concentrer sur deux ou trois activités », décrypte François Sporrer. Le mouvement est amorcé et chacun compte ses atouts. Sabanci a ainsi défini cinq activités prioritaires, dont la finance et la distribution. De son côté, Koç se concentre sur l’automobile, l’énergie ou encore l’électroménager. Cukurova, lui, investit dans les médias et les machines-outils.

Des réussites à l’international

Les résultats ne se sont pas fait attendre. Déjà leader sur leur marché domestique, les groupes turcs commencent à chatouiller les multinationales américaines ou européennes sur leur marché régional. L’été dernier, le géant des travaux publics Tepe Akfen a ainsi soufflé le marché du nouveau terminal de l’aéroport du Caire aux leaders du secteur, notamment Bouygues. Un mois auparavant, il avait déjà remporté l’appel d’offres lancé pour un lot de l’aéroport de Dubaï.

De la même façon, le groupe Ülker commence à tailler des croupières à Danone en Europe de l’Est depuis l’ouverture d’une biscuiterie géante en Roumanie. Le groupe n’en est pas à son coup d’essai. Il s’était déjà frotté aux multinationales de l’agroalimentaire en lançant en 2003 son Cola Turka. Pepsi et Coca y ont perdu en quelques mois 20 % du marché local.

Ce n’est qu’un début, Avec son marché domestique de 72 millions de consommateurs, une croissance en rythme de croisière de 7 à 8 %, l’afflux de capitaux étrangers, la Turquie est en train de gagner son surnom de « Chine de la Méditerranée ». Voilà les conditions idéales pour que surgisse un champion national.

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