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Génocide arménien - Des voix turques réclament la fin du révisionnisme

mercredi 3 novembre 2004, par Pierre Vanrie

Courrier international - 02/11/2004

Alors que l’Union européenne doit décider d’ouvrir ou non des négociations d’adhésion avec Ankara, la douloureuse question du génocide arménien revient sur le devant de la scène. Dans la masse des journaux, la voix de Radikal se fait entendre pour demander la reconnaissance du génocide et tourner enfin la page, comme d’autres nations ont pu le faire...

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Kemal Dervis, ancien ministre de l’Economie - AFP

Le 19 octobre 2004, face au Grand Jury RTL-Le Monde, Kemal Dervis, ancien ministre de l’Economie, a exprimé sa tristesse vis-à-vis des massacres commis à l’encontre des Arméniens, « événements » qu’il a pourtant bien pris soin de ne pas qualifier de génocide, rappelant au passage les massacres de musulmans imputés aux Arméniens à la même époque. Ces propos ont valu à l’ex-ministre une réaction indignée de certains membres de la gauche kémaliste, qui n’ont pas apprécié. Au moment où l’Union européenne doit décider si elle va ou non entamer des négociations d’adhésion avec la Turquie, la question du génocide arménien refait en effet surface.

La grande majorité des journaux turcs considère qu’il s’agit là d’un nouveau prétexte avancé par ceux qui n’ont plus d’arguments à opposer à la candidature turque dès lors qu’Ankara satisfait désormais aux critères de Copenhague. L’ancien diplomate turc de haut rang Ilter Türkmen, également éditorialiste à ses heures du quotidien Hürriyet, estime qu’il n’y a pas là de quoi s’inquiéter : « Il est clair que les affirmations des Arméniens (en faveur de la thèse du génocide) vont occuper le devant de la scène même après le sommet européen du 17 décembre prochain. Mais nous devons garder notre sang-froid. En effet, du point de vue juridique, nous sommes blindés. Juridiquement, l’accusation de génocide ne peut être faite à la Turquie. Dans ce contexte, aucune demande de réparation financière ou territoriale ne peut être avancée. Néanmoins, le droit est une chose et la politique en est une autre. Et, sur le plan politique, cette question va continuer à gêner la Turquie. Dans ce contexte, la meilleure solution consiste à dépasser les perceptions historiques. Il conviendrait donc d’élaborer rapidement une vaste politique créative dans ce domaine. L’idée de laisser la question aux historiens est juste, mais difficile à appliquer. Nous devons donc mettre sur pied une large feuille de route qui concernerait également notre politique vis-à-vis de la république d’Arménie. »

La nécessité d’être pragmatique et stratégique est également mise en avant par Taha Akyol, éditorialiste du quotidien Milliyet, qui estime que, pour être crédible vis-à-vis de la communauté internationale, « il faut expliquer que ces événements se résument à un double affrontement entre Turcs et Arméniens ». « En effet, poursuit-il, c’est si vous faites comme s’il ne s’était rien passé qu’on va vous coller l’étiquette de génocide. »

La thèse turque des « événements », largement relayée dans la presse, repose essentiellement sur le fait que s’il y a bien eu déportation et massacre d’Arméniens, c’était dans le cadre d’une guerre où de nombreux musulmans turcs ont également été tués. Ainsi, selon Taha Akyol, « le nationalisme arménien avait pour but de construire un Etat dans nos provinces orientales. Ce projet correspondait pendant la Première Guerre mondiale aux intérêts de la Russie tsariste. Des exactions sanglantes ont alors été commises contre les musulmans de nos provinces orientales avec le soutien des Russes. C’est donc dans ce contexte que la décision de déporter les Arméniens a été prise par le pouvoir ottoman. » Et Taha Akyol d’en appeler pour étayer cette thèse au démographe Justin Mac Carthy, auteur de Death and Exile : The ethnic cleansing of Ottoman Muslims, où ce dernier fait notamment état de la destruction du patrimoine musulman dans la ville de Van. « Dans ces conditions, conclut l’éditorialiste de Milliyet, la thèse du génocide n’est qu’une falsification de l’Histoire et un instrument de haine aux mains de fanatiques opposés à l’amitié entre les nations. »

Sur une question qui reste passionnelle et relève encore pour partie du secret, l’expression d’opinions alternatives dans la presse turque est plutôt rare mais pas inexistante. C’est ainsi que le quotidien Radikal - qui, malgré son titre à consonance rebelle, fait partie du « système » et appartient au groupe de presse qui publie aussi les quotidiens à grand tirage Hürriyet et Milliyet - a déjà brisé ce tabou en ouvrant ses pages à l’historien turc Taner Akçam, qui y défendait la thèse du génocide arménien.

Récemment, Ahmet Insel, un universitaire turc enseignant à l’université de Galatasaray, à Istanbul et à La Sorbonne, à Paris, appelait les Turcs, dans Radikal, à affronter leur passé. « Aujourd’hui, la nécessité pour la société turque d’ouvrir de sa propre initiative les pages les plus sombres de son histoire récente prend toute son importance. Que la déportation des Arméniens ait débouché ou non sur un génocide, il s’agit bien dans tous les cas de figure d’un genre de crime contre l’humanité que nous devons pouvoir regarder en face. Même en tenant compte de l’ampleur des massacres commis par les bandes de partisans arméniens, il nous faut nous préparer à affronter avec courage notre propre histoire. Et pas seulement avec les événements relatifs à la déportation des Arméniens. En effet, nous devons également pouvoir assumer les atteintes à la dignité humaine, a priori moins graves, dont nous avons été témoins à une époque plus récente, dès lors que depuis le fond de notre conscience commune ces atteintes continuent à faire sentir leur effet. Il y a aujourd’hui toute une série d’Etats qui donnent des leçons de droit humanitaire aux autres alors qu’ils ont commis parmi les plus grands crimes contre l’humanité des cent à cent cinquante dernières années. Certains d’entre eux ont réussi à affronter ce passé. Pour d’autres, celui-ci reste tabou. Le bombardement d’Hiroshima et de Nagasaki ne constitue-t-il pas un crime contre l’humanité ? Les massacres de masse commis par la France en Algérie en 1945, dont on ne parle toujours pas vraiment, ne rentrent-ils pas aussi dans cette catégorie ? Dans ce contexte, nous devons en finir avec les complexes et nous défaire du poids de ce négationnisme honteux et encombrant qui gèle notre mémoire collective. Nous devons dès lors pouvoir discuter avec calme de ce génocide non pas parce que d’autres l’ont voulu, mais parce que nous voulons pouvoir regarder notre histoire en face. »

Note du président de Turquie Européenne :

Quoi qu’on pense au sujet du massacre des Arméniens et de sa qualification juridique, il est remarquable de constater que la Turquie est le seul pays à qui il est question d’imposer d’avoir une repentance vis à vis de son passé comme critère d’entrée dans l’UE.

L’équité voudrait que tous les confesseurs passent à leur tour « au confessionnal ». Il serait intéressant ques les pays européens : France , Angleterre, Italie... Viennent avouer publiquement entre autres crimes, comment ils ont dressé partout les uns contre les autres des peuples qui vivaient en paix au nom de la maxime « Diviser pour mieux règner » l’objectif ayant été avant tout d’abattre l’empire qui leur faisait obstacle pour mettre la main sur les champs pétrolifères du Moyen Orient et non une prétendue et affichée volonté de libération des peuples ! Que la France cesse de regarder Napoléon comme un héros immaculé et dise ses regrets au reste de l’Europe... Que l’Espagne reconnaisse le génocide des Mayas, Incas etc...

Que tous avouent, entre autres méfaits, les dégats causés par leur passé colonial. En fait le seul pays qui a fait un effort de regard lucide envers son passé est l’Allemagne, les autres en ont été dispensés par leur statuts de vainqueurs ou le temps écoulé... Le devoir de mémoire n’est pas le même pour tous et force est de constater qu’il est inversement proportionnel au rang occupé dans l’échelle de l’importance économique et militaire. Ceux qui tiennent le plus à imposer des règles sont trop souvent ceux qui prennent le plus de liberté avec elles !

Les Turcs n’ont pas entièrement tort de sentir une attitude discriminatoire de la part de l’Union Européenne, de là à en déduire que cette exigence particulière n’a pour but que les écarter de l’adhésion il n’y qu’un pas très aisé à franchir !

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