Istanbul :
Deux jours après les réserves exprimées par Dominique de Villepin, qui juge « inconcevable » l’ouverture de négociations d’adhésion à l’Union européenne avec la Turquie, tant que celle-ci n’aura pas formellement reconnu la République de Chypre, le chef du gouvernement turc a réagi. Recep Tayyip Erdogan s’est dit peiné par cette prise de position de la France : « Nous sommes attristés par la déclaration du premier ministre français », a-t-il déclaré. Il a aussi affirmé que Jacques Chirac lui avait assuré, lors d’un entretien téléphonique au lendemain du sommet européen de Bruxelles du 17 décembre, que la signature du protocole ne constituerait pas une reconnaissance de la République de Chypre. « Malheureusement, nous avons maintenant des déclarations contraires, a fait remarquer le premier ministre turc. C’est vraiment regrettable. »
La semaine dernière, la Turquie avait ratifié le protocole d’extension de l’Accord douanier aux dix nouveaux pays membres de l’Union, parmi lesquels la République de Chypre, non reconnue par Ankara. Mais la Turquie avait assorti la signature de ce protocole, considéré comme indispensable à l’ouverture des négociations d’adhésion en octobre prochain, d’une déclaration stipulant que cet accord douanier ne pouvait en aucun cas impliquer une reconnaissance de facto du gouvernement de Nicosie.
Depuis l’intervention de l’armée turque à Chypre, en 1974, dans le prolongement de la guerre civile liée à une tentative de coup d’Etat d’ultranationalistes chypriotes grecs qui, au nom de l’enôsis, voulaient rattacher l’île à la Grèce, les deux communautés vivent en se tournant le dos. Depuis 1974, la Turquie refuse d’accepter la légitimité de la République de Chypre, qui dénie pour sa part toute existence légale à l’Etat sécessionniste de Chypre du Nord (RTCN) autoproclamé en 1983.
L’échec du référendum sur la réunification, conduit l’année dernière par l’ONU, a mené à une impasse après le rejet massif du plan Annan par les Chypriotes grecs, désormais accusés par la Turquie d’être responsables de l’embargo qui pèse toujours sur le nord de l’île. Même si Ankara n’ignore pas la nécessité de rétablir un dialogue qui, sous l’impulsion du nouveau « président » de la RTCN, Mehmet Ali Talat, a accompli quelques timides progrès, la Turquie ne veut pas entendre parler d’une reconnaissance du gouvernement de Nicosie comme préalable aux négociations d’octobre : « Il est hors de question pour nous d’envisager ou de parler d’une quelconque nouvelle condition concernant le processus d’adhésion devant débuter le 3 octobre », a martelé hier Recep Tayyip Erdogan. En charge du dossier chypriote, ultrasensible pour les Turcs, il porte sur ses épaules l’énorme responsabilité de défendre ce que le président de la République turc, Ahmet Necdet Sezer, qualifiait récemment de « cause nationale ».
Dans ce contexte tendu, le premier ministre grec, Costas Caramanlis, qui devait effectuer, à la fin du mois, une visite historique en Turquie - la première à ce niveau depuis quarante ans -, a préféré reporter ce déplacement au mois d’octobre.