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Le piège chypriote

mardi 16 août 2005, par Jean Michel Demetz

L’Express du 15/08/2005

La France veut qu’Ankara reconnaisse les autorités grecques de l’île avant d’entamer les négociations d’adhésion. Perplexité dans les rangs de l’Union

Ce n’était donc pas la dernière foucade d’un Premier ministre fiévreux. Après Dominique de Villepin, Philippe Douste-Blazy a confirmé le revirement du gouvernement français : si la Turquie ne reconnaît pas légalement et au préalable les autorités de la partie grecque de Chypre comme seules représentantes de l’île, la France s’opposera à l’ouverture des négociations d’adhésion d’Ankara à l’Union européenne, le 3 octobre.

Dominique de Villepin, après le choc du référendum du 29 mai, ne pouvait laisser à son rival Nicolas Sarkozy le monopole du non à Ankara

Les Européens paient une décennie d’atermoiements dans le traitement de la crise chypriote. L’intégration de l’île divisée dans l’Union, l’an dernier, n’a rien arrangé. Certes, la présidence française avait promis à Athènes, en 1995, de faciliter l’adhésion, en contrepartie de la fin du veto grec à l’union douanière entre les Quinze et la Turquie. Mais, à faire entrer l’île d’Aphrodite dans l’Union sans réunification préalable, le blocage était garanti. De fait, la partie grecque de l’île - seule interlocutrice légale pour la communauté internationale - a rejeté le plan de paix du secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan - accepté par la partie turque - et s’oppose à toute aide versée au Nord chypriote turc.

Le changement de cap français est néanmoins surprenant. Lorsque la question avait été soulevée lors du sommet européen du 17 décembre 2004, le Premier ministre turc avait quitté la salle. Les Vingt-Cinq - dont la France - s’étaient alors contentés de demander à la Turquie d’étendre l’actuel traité d’union douanière aux 10 nouveaux membres. Ce qu’Ankara a fait le 29 juillet en ajoutant que cela n’équivalait « en rien » à une reconnaissance de la République de Chypre. Une précision dont la présidence britannique avait été informée. Rien d’inattendu, donc. La Commission a d’ailleurs, après l’éclat français, répété que cette reconnaissance devait s’opérer « dans le cadre des Nations unies » et n’était pas un préalable à l’ouverture des négociations. Mais Dominique de Villepin, après le choc du référendum du 29 mai, ne pouvait laisser à son rival Nicolas Sarkozy le monopole du non à Ankara. « La France est devenue le bouclier antiturc en Europe pour des motifs de politique intérieure dictés par la prochaine élection présidentielle », regrette Ahmet Insel, professeur à l’université de Galatasaray, à Istanbul. A Madrid, Londres, Berlin (où Gerhard Schröder ne peut, en pleine campagne, négliger son électorat turc), on s’en désole. Il reviendra, le 25 août, aux ambassadeurs des Vingt-Cinq auprès de l’Union de tenter de démêler l’écheveau avant que les ministres des Affaires étrangères prennent le relais, début septembre. Trois options se présenteront alors à Dominique de Villepin : convaincre ses partenaires - mais comment, tant le crédit de Paris est aujourd’hui démonétisé ? Reculer et laisser faire, quitte à être humilié. Ou imposer son veto. Et prendre la responsabilité d’une nouvelle crise européenne.

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