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Constitution : mode d’emploi pour un débat

lundi 18 avril 2005, par Antoine Reverchon, Marie-Béatrice Baudet

Le Monde Economie

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le débat est mal parti. Le « dialogue » entre le président de la République et « les jeunes », organisé le 14 avril sur TF1, l’a plutôt confirmé : le vote du 29 mai sur le « traité établissant une constitution pour l’Europe » obéira d’abord à la perception que les Français ont, non pas de l’avenir de l’Union européenne (UE), mais des conditions économiques et sociales qui sont les leurs aujourd’hui. Dans la mesure où le traité reprend exactement les mots et les concepts qui désignent les inquiétudes présentes ­ « marché », « concurrence », « compétitivité », « chômage », « libéralisation », « santé », « retraites », « services publics » ­ la tentation est grande de ne juger le traité constitutionnel que par les réponses qu’il apporte, ou n’apporte pas, à ces inquiétudes.

LES IMPASSES SONT NOMBREUSES

A cette aune, le verre peut être, bien sûr, à moitié plein ou à moitié vide, dans la mesure où la fonction du traité n’est justement pas de formuler des réponses, mais de tracer le cadre dans lequel celles-ci peuvent être apportées ­ dans la plupart des cas par les gouvernements des Etats membres puisque l’Union reste incompétente (salaires, formation professionnelle, politique industrielle) ou voit sa compétence limitée par la procédure de l’unanimité (fiscalité, sécurité sociale etc.) sur des sujets pourtant essentiels à la politique économique et sociale d’un pays.

C’est pourquoi il est plus que nécessaire d’examiner, chantier par chantier, ce que dit véritablement le traité en termes d’octroi de compétences à l’UE (tel ou tel point dépend-il entièrement ou partiellement de la politique de l’Union ? de celles des Etats ?), de procédures de décision (faut-il l’unanimité ou la majorité des Etats membres pour décider sur ce point ?), et enfin de degré d’obligation des Etats à se conformer à cette décision. C’est ce travail, ardu pour le lecteur mais nécessaire au citoyen, que ce dossier a tenté de faire.

De cet examen systématique, il ressort que bien des inquiétudes, mais aussi bien des espoirs, auraient de la peine à s’alimenter dans un texte où les impasses sont nombreuses, soit parce qu’il n’est même pas question de certains sujets (par exemple la politique industrielle), soit parce qu’il se contente de reprendre des textes en vigueur depuis les traités antérieurs que la vie économique, juridique et sociale a depuis longtemps intégrés, sans que le quotidien des Européens en soit particulièrement bouleversé. Et quant aux innovations véritables, elles portent d’une part sur le fonctionnement institutionnel ­ seuls vrais objets « constitutionnels » au sens juridique et originel du terme, mais sur lequel l’intérêt public s’attarde peu ­, et sur l’affirmation en préambule de « Droits fondamentaux », dont les Français ont l’habitude de jouir sans s’en apercevoir ­ au risque d’oublier égoïstement que leurs voisins de l’Est et ceux à venir ne les goûtent que depuis peu, voire pas encore. Ainsi, la « liberté syndicale », la « négociation et les actions collectives », des « conditions de travail justes et équitables », la « propriété », etc. deviennent-ils des « droits fondamentaux », gagnant quelques galons juridiques susceptibles d’aider avocats et juristes à aller plaider la cause des salariés auprès de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE). De la jurisprudence en perspective, qui pourra faire encore évoluer sensiblement le droit européen, même s’il est, par définition, impossible de savoir dans quelle direction le vent soufflera.

SIMPLEMENT UN TRAITÉ DE PLUS

In fine, pas de quoi s’enflammer, ce qui n’aurait pas été le cas, bien sûr, si le texte avait véritablement fondé la Constitution d’une nouvelle entité politique, d’une véritable fédération d’Etats ­ à l’instar des constitutions américaine, canadienne ou allemande. Mais il ne s’agit, au risque de décevoir, que d’un traité de plus, serait-on tenté de dire, dans la lignée de ceux de Rome, Maastricht, Amsterdam, Nice.

A une différence près, et qui est de taille : tout comme pour Maastricht en 1992, l’Hexagone est appelé à se prononcer par voie référendaire. Si certains électeurs sont décidés à faire de leur bulletin de vote un « non » à l’entrée de la Turquie ou un « oui » de soutien indéfectible à Jacques Chirac ­ et inversement ­ mélangeant ainsi les enjeux, c’est tout de même la première fois depuis treize ans que le peuple français est interrogé en direct sur l’Europe qui, entretemps, après avoir changé d’habits monétaires, a repoussé ses frontières, s’élargissant à dix nouveaux pays. De quoi raviver, là encore, craintes et peurs liées aux flux migratoires, aux dumpings social et fiscal ou aux délocalisations. Surtout que, tout comme l’Hexagone, l’Union à quinze comme à vingt-cinq ne parvient pas à vaincre un taux de chômage moyen qui stagne autour des 10 %. Comment, dans ces conditions, les Français ne seraient-ils pas tentés de crier encore plus fort leurs craintes et leurs mécontentements aux oreilles d’un pouvoir politique qui a semblé rester sourd aux résultats des scrutins précédents, depuis le premier tour de la présidentielle, le 21 avril 2002, jusqu’aux élections européennes du 13 juin 2004, en passant par les régionales de mars 2004, toutes perdues par la majorité en place ?

La grille pro ou anti-Europe ne pourra donc suffire à analyser les résultats du référendum du 29 mai. Les dimensions sociales ­ nationale et européenne ­ se tailleront, en revanche, la part du lion.

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