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Ankara veut réformer ses manuels d’histoire

jeudi 13 octobre 2005, par Sophie Shihab

LE MONDE 12/10/2005 12h58

ISTANBUL correspondance

Professeur à l’université Galatasaray d’Istanbul, l’historien Ahmet Kuyas n’a pas à chercher loin les sources des rigidités turques sur la question arménienne : « Moi-même, raconte-t-il, pourtant fils de vieille famille stambouliote éclairée ­ et, de plus, ex-petit ami d’une camarade de lycée arménienne ­, j’ai dû attendre d’être étudiant à Paris pour découvrir ce problème... On n’en parlait tout simplement jamais ! » Surtout pas dans les manuels scolaires, qui souffrent, comme l’ensemble de l’enseignement en Turquie, d’une approche sclérosée, figée dans le culte de Mustafa Kemal, Atatürk.

Tous les manuels commencent ainsi par une allocution d’Atatürk prononcée alors que l’Empire ottoman venait d’être amputé : elle met en garde la jeunesse contre « des malveillants à l’intérieur du pays et à l’étranger », voire des « traîtres » cherchant à prendre le pouvoir « par la ruse et la force » pour « dévaster » le pays...

Cette forme de paranoïa, qui n’a pas disparu ­ des historiens parlent de « syndrome de Sèvres » , inculque aux Turcs depuis des décennies qu’ils sont entourés d’ennemis qui en veulent à leurs terres. Ce qui explique la circulaire du ministre turc de l’éducation rappelant que c’est « dans le cadre de la lutte contre les allégations sur le prétendu génocide arménien » que « l’étude des allégations arméniennes, grecques et syriaques » avait été introduite dans les programmes scolaires.

C’est-à-dire que les manuels d’histoire, après avoir été silencieux sur ces points polémiques, en donnent depuis deux ans la seule version officielle ­ à savoir, en particulier, que des Arméniens ont certes été tués sur le sol turc pendant la première guerre mondiale, mais qu’un nombre plus grand de Turcs ont péri de la main d’Arméniens alliés aux « dépeceurs » de l’Etat ottoman, qui ne serait aucunement coupable de « génocide ». Toute mise en doute de cette version, est taboue en Turquie, largement grâce à l’ignorance générale, mais aussi à la faveur des revendications d’une partie des Arméniens qui veulent, non seulement une « reconnais sance » du génocide, mais aussi « réparation » et « restitution » de terres.

Ce tabou a cependant commencé à être battu en brèche par les historiens turcs qui ont réussi, après moult obstacles, à tenir une conférence sur le sujet en septembre à Istanbul, avec le soutien du premier ministre Erdogan. « Mais les positions des universitaires prennent du temps à se frayer un chemin vers les manuels scolaires », relève le professeur Kuyas, spécialiste d’histoire ottomane, qui prépare lui-même un manuel pour l’équivalant des classes de première ­ sur la période 1839-1939. Un autre, pour les terminales (l’histoire de 1939 à nos jours) a été publié il y a deux ans, avec l’aide du Tüsiad, le « Medef » turc. Traduit en grande partie des manuels d’Hachette ­ moins les chapitres sur la France remplacés par ceux sur la Turquie ­, il a connu un succès immédiat et fut réimprimé, puis copié en CD-ROM. 

« Les manuels turcs officiels ne consacrent que 10 % à l’histoire mondiale et tout le reste à l’histoire des Turcs. Nous, nous faisons le contraire », dit M. Kuyas. Mais cette nouvelle production ne peut être utilisée par les enseignants qu’à titre de « livres complémentaires » aux manuels officiels. Et leur succès reste très largement limité aux lycées d’élite, souvent des établissements privés ­ mais pas toujours, le critère étant les enseignants eux-mêmes, selon qu’ils aient voyagé ou non à l’étranger, connu les systèmes éducatifs modernes, etc.

« Quasiment tous nos parents d’élèves, enseignants et étudiants sont d’accord sur le fait que nos enfants méritent mieux que le système actuel. (...) L’idéologie doit céder la place à la connaissance et à l’éthique » , a cependant reconnu le ministre turc de l’éducation.

Husseyin Celik a précisé que « l’éducation est un point-clé pour l’entrée dans l’UE », alors même que l’éducation reste à la discrétion des Etats membres. Evoquant « l’indispensable révision des programmes (...) en conformité avec les standards » de ces Etats, il a aussi annoncé avoir commencé ce travail de révision avec la participation d’experts européens et en consultant des dizaines d’ONG. Ce qui ne garantit pas les résultats, mais traduit au minimum la prise de conscience des changements de taille à opérer.

Sophie Shihab
Article paru dans l’édition du 13.10.05

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