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Un an après le référendum : l’Europe bloquée

mercredi 7 juin 2006, par Philippe Ricard, Rafaële Rivais, Thomas Ferenczi

Source : LE MONDE

Le double non de la France et des Pays-Bas a bloqué l’adoption du traité constitutionnel, freiné l’élargissement de l’Union et entraîné une profonde révision de la directive Bolkestein, mais n’a pas fait progresser l’Europe sociale ni enrayé le mouvement de libéralisation.

La réforme des institutions

C’est la principale victime du rejet de la Constitution. Plusieurs pays ont suspendu leur procédure de ratification. Un an après le vote franco-néerlandais, 15 Etats ont dit oui, 2 non, les autres ne se sont pas prononcés. En attendant, le traité de Nice, mal adapté au fonctionnement d’une Europe à 25, s’applique. Les dirigeants européens se sont donné un délai d’un an après les deux scrutins, prolongeable au-delà de juin. Certains pensent possible un nouveau vote en France et aux Pays-Bas après les élections qui auront lieu en 2007 dans les deux pays. Le traité serait assorti de déclarations interprétatives rassurant les opinions publiques. La chancelière allemande Angela Merkel a évoqué une « déclaration sociale » pouvant rallier des partisans du non. D’autres estiment cette solution irréaliste et plaident pour une renégociation, plus ou moins importante, de la Constitution. La France suggère d’apporter des améliorations, dans le cadre du traité de Nice, notamment en associant davantage les Parlements nationaux, en étendant le champ du vote à la majorité qualifiée, en renforçant la cohérence de l’action extérieure. C’est aussi la position de la Commission.

L’élargissement

Le non n’a pas empêché les négociations d’adhésion, dès octobre 2005, avec la Turquie et la Croatie mais a conduit l’Union à durcir sa position. L’accent est mis sur la « capacité d’absorption » de l’Union et sur le respect des critères d’adhésion par les candidats, condition énoncée en 1993 mais jamais explicitée. Le Parlement européen a demandé à la Commission d’en préciser le contenu. La France a souhaité que la Commission évalue cette capacité « à chaque fois qu’est envisagée une nouvelle étape du processus d’élargissement ».

L’Union a reporté à l’automne sa décision de maintenir au 1er janvier 2007 � ou de différer d’un an � l’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie. En outre, les discussions de stabilisation et d’association avec la Serbie, préalables à des négociations d’adhésion, sont suspendues jusqu’à l’arrestation du général Ratko Mladic, poursuivi pour génocide. Plusieurs Etats ont choisi, le 1er mai, de ne pas lever leurs restrictions à la libre circulation des travailleurs venus des 10 nouveaux membres. Enfin, la Commission et la Banque centrale ont accepté la Slovénie dans la zone euro mais refusé la Lituanie, son taux d’inflation étant de 2,7 % en mars au lieu de 2,6 %.

La directive Bolkestein

« Le 29 mai a eu une influence sur le cours de la directive Bolkestein, estime Evelyne Gebhardt, rapporteuse (sociale-démocrate) du projet au Parlement européen. Les élus de droite ont compris qu’ils devaient modifier leur approche ’tout économique’ de ce texte censé ouvrir le marché des services. Et la Commission a admis qu’elle devait tenir compte du vote du Parlement. »

En février, les eurodéputés ont profondément amendé le texte d’inspiration libérale de l’ancien commissaire au marché intérieur, Frits Bolkestein, approuvé en janvier 2004. Ils en ont retiré le principe � très controversé � du « pays d’origine », qui avait créé le syndrome du « plombier polonais » (principe selon lequel un prestataire de services temporaire serait soumis au droit de son pays et non à celui du pays où il exerce son activité) et avait alimenté la campagne du non français au projet de Constitution. Le texte modifié propose seulement de supprimer les barrières protectionnistes mises par les Etats à la libre prestation transfrontalière. La présidence autrichienne de l’Union espère, avec l’aide de la France et de l’Allemagne, que le compromis du Parlement sera adopté par les 25 d’ici à la fin juin.

Politique sociale et services publics

Les avancées sont quasi inexistantes. Les 25 ont entériné la création d’un fonds d’ajustement à la globalisation. Ressortie des tiroirs par le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, cette initiative dotée d’un demi-milliard d’euros doit soutenir les travailleurs touchés par les délocalisations. Contrairement à ce qui s’est passé pour la directive services, le non n’a pas débloqué les négociations sur un autre projet controversé : la législation sur le temps de travail, qui oppose toujours Londres, partisan d’une très grande souplesse, à Paris, soucieux de règles précises. La Commission reste très prudente sur les services publics, comme sur leurs modalités de financement (notamment dans les transports), mais ne reprend pas à son compte le projet de directive cadre sur lequel planchent les députés socialistes européens.

Commerce extérieur, concurrence, énergie

Pour la politique commerciale et la concurrence, le double non à la Constitution n’a rien changé. Les institutions européennes, Commission en tête, poursuivent leur action selon les traités existants. En dépit des tensions entre Paris et le commissaire au commerce, le Britannique Peter Mandelson, les 25 restent attachés à la signature d’un accord de libéralisation des échanges dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce. En matière de concurrence, la Commission reste incontournable dans le contrôle des fusions, aides d’Etat et autres cartels. Elle veut parachever la libéralisation des secteurs les plus sensibles (énergie et transport ferroviaire).

Si la politique industrielle n’est plus taboue, la commissaire à la concurrence, Neelie Kroes, continue de se méfier du concept de « champion national ». Ses collègues dénoncent les tendances protectionnistes perceptibles en France et en Espagne. L’Union cherche des projets concrets pour convaincre les citoyens les plus eurosceptiques de la plus-value qu’elle peut apporter. Les 25, qui tentent ainsi de muscler leur politique énergétique, ont du mal à unir leurs forces face aux pays fournisseurs, comme la Russie, mais se sont mis d’accord sur un budget a minima pour financer les politiques de l’Union de 2007 à 2013.

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