L’ancien chef du gouvernement grec (PASOK, gauche) pourfend la langue de bois diplomatique des chancelleries européennes, grecque et chypriote : la menace du veto à la Turquie n’est pas crédible dans le cadre du droit et des pratiques européennes. Il montre également comment, forte de sa proximité géographique avec Ankara, Athènes ne peut pas ne pas souhaiter l’adhésion de la Turquie à l’UE.
ATHENES - L’ancien chef du gouvernement grec, Costas Simitis a publié, il y a peu un livre dans lequel l’éclairage porté sur la crise de Kardak n’était pas de toute tendresse avec la politique suivie à Athènes : il a declaré ces jours que la thèse selon laquelle Nicosie et Athènes disposaient de 70 occasions d’opposer un veto à l’adhésion de la Turquie n’était qu’un grossier mensonge.
Dans un article publié dans le quotidien Etnos, Costas Simitis s’est attaché à expliquer ce qu’aucun leader grec ou chypriote n’est en mesure de dire ouvertement. Quant à la récente menace de veto chypriote brandie à Luxembourg, il l’a ainsi qualifiée :
« Vous ne pourrez pas arrêter les négociations »
« Les opinions publiques grecques et chypriotes sont persuadées que nous pouvons lorsque nous le jugeons nécessaire interrompre les négociations d’adhésion. Ce n’est pas juste. Il n’existe aucun moyen de faire cesser ou de retarder les négociations en pratiquant le chantage de façon à régler ses propres problèmes. D’après les règles européennes, l’interruption des négociations s’envisage sur demande d’un tiers des membres et la décision est prise à la majorité qualifiée dans le cadre d’un Conseil Européen. Si Chypre avait opposé son veto la dernière fois, l’UE aurait suspendu le traitement du premier dossier technique des négociations pour immédiatement lancer le second. Dans le cadre de l’UE, un membre qui aurait une objection concernant un pays est dans l’obligation de retirer celle-ci lorsqu’il est nécessaire de régler un autre problème qui le concerne directement.
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Le gouvernement grec ment soit à lui-même soit au peuple tout entier. Si nous considérons les pratiques de l’UE par le passé, nous nous rendons compte qu’en définitive la Grèce ne dispose que d’une seule occasion d’opposer un veto : ce sera le jour où, la Turquie ayant achevé ses négociations, il nous faudra décider de son adhésion . En outre, cette possibilité reste largement théorique. D’ici à la fin des négociations 10 ans au moins se seront écoulés. Après tant d’années, il n’est pas pensable que l’UE ait rien laissé au hasard. Si la Turquie souhaite adhérer, Bruxelles préviendra toute sorte d’objection, si elle ne le souhaite pas, elle aura d’elle-même, coupé les négociations.
Des intérêts différents des autres pays membres
Simitis a posé la question suivante : « Il y a des pays qui souhaitent éviter l’adhésion de la Turquie ? Certains le disent ouvertement comme l’Autriche. D’autres se taisent. Quant à la Grèce, elle souhaite retarder l’adhésion jusqu’à obtenir quelque chose de la Turquie. L’objectif de la Grèce ne peut pas être que la Turquie ne soit pas membre. Par conséquent, pourquoi des pays opposés à cette perspective travailleraient-ils avec nous sur des sujets nous intéressant pour exercer des pressions à court terme sur la Turquie ?
Le partenariat privilégié ne sert à rien
Simitis a également mis les Grecs en garde contre la possibilité d’un partenariat privilégié :
« Si la Turquie vire de bord et s’oriente vers un partenariat privilégié, nombre de pays européens en sortiront soulagés, mais la Grèce, elle, restera embarrassée. Parce qu’elle perdra alors un moyen de faire pression sur la Turquie. A ce moment-là, les Européens préféreront la pratique des dialogues bilatéraux pour le règlement de questions bilatérales. Et il est possible que pour s’attacher les bonnes grâces de la Turquie, ils envisagent même de soutenir la partie turque. »
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