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TURQUIE - Vers un nouveau procès Öcalan ?

samedi 14 mai 2005, par Pierre Vanrie

Courrier international - 13 mai 2005

Selon la Cour européenne des droits de l’homme, Abdullah Öcalan, le chef du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), actuellement emprisonné sur l’île turque d’Imrali, n’a pas été jugé de façon équitable. Cette décision, annoncée jeudi 12 mai, n’a pas vraiment surpris en Turquie, tant elle était attendue. Elle signifie que, si la Turquie accepte le verdict de la Cour, le chef du PKK pourrait être rejugé.

Selon Taha Akyol, un des éditorialistes du quotidien turc Milliyet, il faut admettre que le procès d’Abdullah Öcalan a été entaché de vices de procédure. Si ladite procédure, « qui ne relève pourtant que de la forme, avait été respectée, la Turquie aurait alors d’emblée remporté une grande victoire sur le terrorisme, tant sur le plan juridique que politique ». « Si la Turquie annonçait maintenant qu’elle n’entend pas rejuger Öcalan », poursuit Taha Akyol, « l’organisation terroriste [le PKK] en profiterait pour mener campagne en faisant croire qu’Öcalan n’est pas un terroriste et qu’il a en outre été injustement condamné par la Turquie. »

« Pis, les institutions européennes et les organismes compétents en termes de droit international, en réclamant que la Turquie se conforme aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, se verraient associés au PKK par l’opinion turque ! Un tel scénario permettrait à l’organisation terroriste de transformer un problème juridique en une question de politique internationale. C’est précisément ce que recherche le PKK, qui sait très bien qu’un nouveau procès où la procédure serait respectée aboutirait à nouveau à la condamnation d’Abdullah Öcalan, cette fois avec l’aval de la Cour européenne des droits de l’homme », s’indigne l’éditorialiste. La réouverture du procès Öcalan est d’ailleurs tout à fait probable, moyennant toutefois quelques modifications légales que devrait approuver le Parlement turc.

Pour Mustafa Ünal, du quotidien Zaman, « outre son aspect juridique, c’est bien la dimension politique de cette décision qui prédomine dans cette affaire, en particulier en ce qui concerne la politique intérieure. En effet, l’opposition, y compris les partis qui ne siègent pas au Parlement (actuellement, le Parti républicain du peuple, CHP, gauche kémaliste, est le seul parti d’opposition siégeant au Parlement), guette la moindre occasion d’attaquer la majorité gouvernementale AKP sur l’affaire Öcalan. » Deniz Baykal, le leader du CHP, a en tout cas accueilli fraîchement la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, estimant que celle-ci allait « semer le trouble en Turquie », « ramener l’instabilité, la polarisation et les divisions internes », et appelant au passage le gouvernement AKP à « quitter cette attitude de soumission » vis-à-vis de l’Europe, peut-on lire sur le site de CNN en turc.

Hasan Celal Güzel, dans le quotidien Tercüman, estime qu’un nouveau procès Öcalan « heurtera les familles des martyrs (soldats morts au combat contre le PKK) ainsi que la grande majorité de la société turque. Cela risque de provoquer des contre-manifestations contre les groupes kurdes séparatistes et d’affecter ainsi l’intégrité et l’unité du pays. » L’éditorialiste, plutôt sympathisant de l’AKP, appelle dès lors l’opposition à « se garder d’utiliser cette question nationale très sensible et à collaborer sur ce sujet avec le gouvernement ».

Le quotidien prokurde basé en Turquie Ülkede Özgür Gündem, qui n’a jamais caché sa sympathie à l’égard du chef du PKK emprisonné, adopte un tout autre ton, considérant avec un certain optimisme que « les conditions qui prévalaient lors du premier procès d’Öcalan ont changé et que celui-ci, s’il est rejugé, se retrouvera dans une situation beaucoup plus avantageuse qu’en 1999 tant les conditions aujourd’hui, sont différentes pour la Turquie, pour les Kurdes et pour la région en général. » Selon le quotidien proche du PKK Özgür Politika, publié en Allemagne et qui collabore avec Ülkede Özgür Gündem, « ce que l’on qualifie généralement de ’procès Öcalan’ est en réalité le procès de la cause kurde et ne concerne donc pas le seul Öcalan mais tout le peuple kurde. [...] En cas de nouveau procès, la Turquie se retrouvera donc aussi au banc des accusés. Et elle sait très bien que les crimes qu’elle a commis au Kurdistan seront alors révélés. » « Voilà bien la cause de la peur panique qui s’est emparée de la Turquie sur cette question », conclut l’éditorial d’Özgür Politika.

Considérant qu’il s’agit là de toute façon d’un « examen de maturité », Okay Gönensin, journaliste au quotidien turc Vatan, estime que « faire preuve de sang-froid sur un sujet aussi sensible ne sera pas chose facile. » « En effet, beaucoup voudront tirer profit de ce climat passionnel », poursuit-il, « il n’y a qu’à voir ce qui s’est encore passé jeudi 12 mai en commission du Parlement lors d’un débat sur la modification du Code pénal. Un député y a proposé que des peines de prison soient prévues pour ceux qui affirment qu’un génocide arménien a bien eu lieu. Ce sont pourtant les mêmes qui s’insurgent lorsque certains Etats européens, notamment la Suisse, sanctionnent ceux qui déclarent qu’il n’y a pas eu de génocide arménien en les qualifiant de négationnistes ! Voilà donc un exemple typique de réaction passionnelle en politique. Un nouveau procès Öcalan constituerait donc dans ce contexte un test important de la capacité, pour la Turquie, à surmonter les réactions passionnelles et les calculs politiciens à court terme. Les résultats de cet examen s’avéreront en tout cas déterminants pour l’avenir de la Turquie. »

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