BRUXELLES de notre bureau européen
Tenants du oui et partisans du non sont d’accord là-dessus : la question de l’élargissement a été l’une des clefs du référendum. La campagne du non a mis en avant les risques de délocalisation, et agité la menace du « plombier polonais » déferlant sur la France dans la foulée de l’éventuelle adoption de la proposition Bolkestein sur la libre circulation des services. Celle du oui a dénoncé les relents de racisme associés à ces craintes. En clôturant sa campagne, vendredi 27 mai, la maire de Lille, Martine Aubry, a tenu à mettre les choses au point : « La gauche, c’est ne jamais faire peur, c’est dire merci aux Polonais de nous rejoindre comme nous l’avons dit hier aux Espagnols et aux Portugais. »
« Un des enseignements du référendum, c’est que l’élargissement est mal digéré » , indiquait un diplomate français avant même de connaître les résultats. Les partisans du non ont exploité les craintes suscitées par l’adhésion le 1er mai 2004 des dix nouveaux membres : l’un des principaux porte-voix du non, le socialiste Henri Emmanuelli, a multiplié les déplacements dans les usines menacées de délocalisation. A certains moments, le scrutin a même donné l’impression de se transformer en référendum rétroactif sur l’élargissement.
La tournure des débats a quelquefois inquiété les nouveaux membres. « Si les Français rejettent la Constitution européenne, c’est nous qui en paierons les frais », a prévenu le premier ministre polonais, Marek Belka, à quelques jours du référendum français. Les dix nouveaux craignent de voir l’Europe manquer de solidarité à leur égard. « Nous avons omis de faire la nécessaire pédagogie de l’élargissement, a reconnu, dimanche 29 mai dans la soirée, le premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker. Je ne voudrais pas que nous donnions l’impression que ce sont les nouvelles démocraties qui sont responsables de l’échec. » Le président polonais, Alexandre Kwasniewski, a déclaré que le non français « ne devrait pas freiner » le processus d’intégration.
L’issue du référendum préoccupe aussi les pays attendus dans l’Union en 2007, la Roumanie et la Bulgarie, qui ont signé discrètement, le 25 avril, leur traité d’adhésion. « En cas de non français au référendum de dimanche, nous devrions remplir avec beaucoup plus de rigueur les conditions pour notre adhésion à l’Union européenne » , a affirmé dimanche le premier ministre roumain, Calin Tariceanu. Selon lui, « la Roumanie ne peut plus espérer de cadeaux politiques de la part de la Commission européenne si le traité constitutionnel est rejeté par les Français » . En vertu d’une clause de sauvegarde mise en œuvre à la majorité qualifiée des Etats membres, l’adhésion de la Roumanie peut être retardée d’un an.
« LE CLIMAT A CHANGÉ »
« Il est clair que la Roumanie et la Bulgarie doivent continuer les réformes si elles veulent rejoindre l’Union dans les temps » , a rappelé dimanche soir José Manuel Barroso, président de la Commission européenne. « La seule chose qui peut influer sur notre adhésion à l’Union, c’est notre propre capacité » , a confirmé le président roumain, Traian Basescu, en affirmant que « l’Europe ne finira pas avec le référendum français » .
L’onde de choc du non pourrait toucher surtout la Turquie. En principe, les négociations d’adhésion doivent commencer le 3 octobre, en vertu d’une décision prise à l’unanimité des Vingt-Cinq en décembre 2004. Mais « le climat a changé en quelques mois » , note un diplomate français. Le président Jacques Chirac n’est pas parvenu à déconnecter entièrement le débat sur la Constitution de la question turque, malgré la réforme constitutionnelle adoptée en janvier, qui prévoit que les prochains élargissements seront soumis à référendum. A droite comme à gauche, les partisans du non n’ont cessé de mettre en cause la perspective d’adhésion d’Ankara. Renforcé par le scrutin, le principal rival de Jacques Chirac au sein de la droite française, Nicolas Sarkozy, est opposé à l’adhésion turque.
En Allemagne, l’opposition chrétienne-démocrate, très opposée à l’adhésion turque, a de grandes chances de prendre le pouvoir à l’issue des législatives de septembre. La candidate plus que probable du camp conservateur allemand, Angela Merkel, favorable à un partenariat privilégié, pourrait se saisir du sujet lors de la campagne électorale. Elle a déjà affirmé qu’avant toute négociation, Ankara, qui occupe le nord de l’île, devait avoir reconnu la République de Chypre.
La Turquie, qui ne s’est pas passionnée pour la campagne française, espère que le rendez-vous du 3 octobre sera respecté. Son ministre des affaires étrangères, Abdullah Gül, a déclaré dimanche soir que l’issue du référendum français « ne concerne pas la Turquie le moins du monde » et qu’elle n’a aucun lien avec la candidature turque. « Le début des négociations dépend de nous » , a-t-il dit, en soulignant que la date fixée ne peut pas être remise en question en raison de changements politiques dans un Etat membre.