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Turquie-Etats-Unis : Le génocide arménien divise Ankara et Washington

jeudi 11 mars 2010, par Alda Engoian, Pierre Vanrie

La commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants des Etats-Unis a adopté, le 4 mars, une résolution qualifiant de génocide les massacres d’Arméniens commis en 1915 dans l’Empire ottoman. Une décision saluée côté arménien, mais fortement critiquée côté turc.

Dans Radikal, Cengiz Candar estime que la Turquie s’est retrouvée prise dans un cercle vicieux où sa volonté d’empêcher l’adoption d’un projet de loi reconnaissant le génocide arménien par le Congrès américain limite la marge de manœuvre de sa diplomatie. « Ce projet de loi, visant à reconnaître le génocide arménien, a déjà été adopté par les Parlements de plusieurs pays, mais pour Ankara l’enjeu concerne surtout la position du Congrès des Etats-Unis sur ce sujet. Tous les Parlements du monde peuvent adopter ce projet de loi, pour la Turquie, tant qu’il n’est pas passé par le Congrès américain, il n’y a pas de souci. Mais c’est précisément là que se situe le problème dès lors que la politique étrangère turque est tributaire de ses bonnes relations avec Washington. Or celles-ci se trouvent maintenant assujetties au mot ’génocide’. »

« L’ennui, pour la Turquie, c’est qu’elle ne parvient pas à sortir de cette situation. Jusque-là, chaque année au moment où l’agenda politique était monopolisé par cette question du projet de loi relatif à la reconnaissance du génocide arménien, Ankara pouvait compter, et ce depuis une quinzaine d’années, sur le soutien non négligeable du lobby juif pro-israélien, ce qui obligeait cependant la Turquie à préserver de bonnes relations avec Israël. La relation avec l’Etat hébreu est ainsi devenue obligatoirement l’axe principal de sa politique au Moyen-Orient. La détérioration des relations entre Ankara et Tel-Aviv, qui a commencé en janvier 2009 au Forum de Davos, a levé cette hypothèque et a eu pour conséquence que le lobby censé contrer l’influence du lobby arménien à Washington a beaucoup perdu de sa vigueur », ajoute-t-il.

Selon Sami Kohen, dans Milliyet, compte tenu de l’importance croissante de la Turquie sur le plan géopolitique, le vote de cette résolution par la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants « traduit, comme l’a dit le ministre turc des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu, un manque de vision stratégique de la part des Etats-Unis. Finalement, malgré les efforts d’Ankara, la résolution a été approuvée. La seule satisfaction, c’est qu’elle ait été adoptée après un vote très serré (à une voix près). Rappelons qu’il s’agit de la huitième fois que ce genre de résolution est soumis au vote. Mais il s’agit là d’une bien maigre consolation. Maintenant, il faut en priorité empêcher que cette résolution ne soit présentée devant la Chambre des représentants. C’est l’administration Obama qui va devoir se charger de cette tâche et il s’agit pour elle d’un test important [le président américain et sa secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, ont déjà fait part publiquement de leurs réticences au sujet de l’adoption d’une telle résolution]. »

« Il semble en tout cas peu probable que ce projet de loi atteigne le stade de l’assemblée plénière de la Chambre des représentants. Les attentes vont dans le même sens concernant le contenu du discours qu’Obama prononcera le 24 avril prochain [date du déclenchement du génocide arménien]. S’il agit de la sorte, il empêchera la survenue d’une crise importante entre la Turquie et les Etats-Unis. Le vote de cette commission a en tout cas provoqué une indignation justifiée en Turquie. Davutoglu a estimé que le Congrès américain n’avait pas le droit de juger la Turquie pour les événements de 1915 et il a bien fait comprendre que ce genre d’intervention risquait surtout de détériorer les relations entre les deux pays et d’affecter le processus de normalisation avec l’Arménie. »

Pour le député arménien du parti Dachnaktsoutioun (nationaliste) Armen Roustamian, président de la commission parlementaire des Relations internationales, « la Turquie a une fois de plus montré qu’elle savait utiliser le chantage », rapporte le site d’information arménien Panorama.am. Quant au président du Parlement arménien, Ovik Abramian, il a adressé une lettre de remerciement à Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants, rapporte Armenia Today. « Le vote du 4 mars n’est pas simplement un devoir moral envers le peuple arménien, mais une réponse juste au crime de lèse-humanité perpétré au début du siècle dernier », est-il écrit dans la lettre, qui par ailleurs affirme que « cette décision sera un pas important pour la réconciliation des peuples arménien et turc ». Golos Armenii, le quotidien russophone d’Erevan, estime que « la diplomatie arménienne doit s’en tenir, sans conditions préalables, à sa politique de rapprochement avec Ankara, initiée en octobre 2009 ».

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Sources

Source : Courrier International, 8 mars 2010

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