ANKARA - Le président turc Abdullah Gül a appelé mardi le gouvernement à la prudence au moment où il soumet au parlement un ensemble de réformes constitutionnelles dénoncées par les milieux laïques.
Les modifications proposées frappent au cœur la justice ou l’armée, institutions qui se posent en garantes de la laïcité, héritage de la Turquie kémaliste.
Ces réformes prévoient entre autres de réorganiser le système judiciaire, de rendre les militaires responsables devant la justice civile et de poser davantage de garde-fous à la dissolution de partis politiques contestés par ces élites.
Le Parti de la justice et du développement (AKP), issu de la mouvance islamique, affirme que cette révision constitutionnelle est nécessaire pour renforcer la démocratie turque et augmenter les chances du pays d’intégrer un jour l’Union européenne.
Mais Gül, ancien membre de l’AKP dont il a quitté les rangs après son élection à la présidence en 2007, a appelé le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan à se montrer prudent.
« L’important, c’est que les constitutions s’imposent à tous et sont des documents de haut niveau, à long terme. Il est très important que ces changements soient réalisés de la meilleure façon. Il faut assurément le faire avec prudence et avec soin », a-t-il dit à la presse.
Il réagissait là à une disposition qui prévoit d’autoriser la comparution devant la Cour suprême - où peuvent être jugés des ministres - de haut gradés de l’armée, jadis intouchables.
Abdullah Gül a en outre estimé que la proposition visant à octroyer au président le pouvoir de nommer de simples citoyens à la Cour constitutionnelle était irréaliste. Elle a été supprimée de l’ensemble de textes soumis au parlement.
PROBABLE RÉFÉRENDUM
Pour les analystes, les critiques de Gül ne témoignent pas d’un éventuel désaccord entre le président et l’AKP.
« Les dispositions qu’il a mentionnées étaient très imparfaites et auraient pu poser beaucoup de problèmes », a dit Levent Gonenc, conférencier en droit à l’université d’Ankara.
Elles ne portaient en effet pas sur les mesures phares, relatives à la réforme du mode de nomination des juges ou au statut pénal des officiers militaires.
Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan entend organiser un référendum sur ces réformes si elles ne sont pas adoptées au parlement. L’AKP y dispose d’une confortable majorité, mais pas de celle des deux tiers nécessaire pour adopter ces textes.
Les mesures devant être examinées attentivement avant rédaction d’un texte définitif, les députés ne voteront sans doute pas avant mi-avril. La consultation populaire se tiendrait probablement deux mois plus tard.
Deniz Baykal, chef du CHP, le principal parti d’opposition, a prévenu qu’il essaierait de bloquer le texte en contestant la légalité de certaines mesures devant la Cour constitutionnelle.
La semaine dernière, d’éminents magistrats ont dénoncé les modifications prévues et se sont attiré les foudres de ministres qui les ont accusés de parler comme des dirigeants d’opposition.
Les sondages montrent que la population soutient la révision de la Constitution, élaborée par un gouvernement militaire en 1982, deux ans après un coup d’Etat.
Dans l’expectative, les investisseurs redoutent une grave crise politique en Turquie même s’ils sont mesurés pour l’heure. Ils s’inquiètent notamment de voir le procureur général lancer une nouvelle tentative de dissolution de l’AKP, comme il l’a fait sans succès il y a deux ans.
Le procureur général accuse l’AKP d’être un point d’ancrage de l’islamisme, en violation avec la constitution laïque. Si la loi fondamentale est révisée, ce type d’initiative contre les partis devra être approuvée par une commission parlementaire.