Berlin, Istanbul Correspondants
C’est une visite aux désaccords prévisibles. En déplacement officiel en Turquie, lundi 29 et mardi 30 mars, pour la première fois depuis 2006, Angela Merkel va défendre une nouvelle fois sa proposition d’un partenariat privilégié comme alternative à une adhésion de ce pays à l’Union européenne (UE).
La chancelière allemande l’a redit sans détours à plusieurs médias avant son arrivée, irritant profondément les responsables turcs. « Cette option d’un partenariat privilégié n’existe nulle part dans les textes européens. Quand nous avons signé l’ouverture des négociations, le 17 décembre 2004, nous avons pris date pour une adhésion, pas pour un partenariat », a rétorqué le ministre turc des affaires européennes et négociateur en chef avec l’Union européenne, Egemen Bagis, devant des journalistes, samedi, à Istanbul.
Le voyage de la chancelière intervient alors que le gouvernement turc tente de rouvrir l’un des principaux volets de ses négociations d’adhésion. Le parti conservateur au pouvoir (AKP) s’est lancé dans une réforme délicate de la Constitution pour la mettre en conformité avec les canons européens. Le système judiciaire, sous tutelle militaire, devrait être largement rénové et la Turquie espère le soutien de l’UE dans cette entreprise.
Dans une dizaine de jours, le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, devrait se rendre à Paris, sa première visite depuis l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007, sur fond de relations bilatérales tendues. La France est l’autre pays européen à défendre l’idée d’un « partenariat privilégié » entre la Turquie et l’UE.
L’entourage de la chancelière tente de minimiser l’importance du dossier européen dans ce déplacement. « La question de l’adhésion ne se pose pas maintenant », souligne-t-on. Mme Merkel doit tenir compte de l’avis de ses partenaires de coalition, les libéraux du FDP, davantage favorables à une entrée de la Turquie dans l’Europe. Lors d’un voyage à Ankara en janvier, le ministre des affaires étrangères, Guido Westerwelle (FDP), avait semblé soutenir cette option, ce qui lui avait valu les attaques des conservateurs bavarois de la CSU, résolument hostiles à l’idée d’une adhésion.
Le FDP avait obtenu des unions chrétiennes CDU-CSU une formule de compromis dans le contrat de coalition signé en octobre 2009 : « Les négociations débutées en 2005 avec l’objectif d’une adhésion sont un processus avec une issue ouverte, qui ne justifie aucun automatisme. »
Le patronat allemand est sur la même ligne : « L’économie allemande invite à une discussion dépourvue d’émotion à propos des négociations d’adhésion de la Turquie », a déclaré le directeur de la Fédération de l’industrie allemande, Werner Schnappauf, au quotidien Handelsblatt. Ces dernières années, les entreprises allemandes n’ont cessé d’intensifier leurs relations commerciales avec la Turquie, et une importante délégation économique accompagne la chancelière.
Autre source de contentieux entre Berlin et Ankara, l’intégration des 3 millions de Turcs d’Allemagne. L’appel lancé une nouvelle fois par M. Erdogan en faveur de l’ouverture de lycées turcs en Allemagne a été perçu comme une provocation outre-Rhin.
« En Turquie, nous avons des lycées allemands. Pourquoi ne pourrait-il pas y avoir de lycée turc en Allemagne ? », a-t-il demandé à la veille de l’arrivée de Mme Merkel. La chancelière a rejeté cette idée, soulignant l’importance de l’apprentissage de la langue allemande et du respect des lois allemandes. « Des écoles particulières pour les migrants ne feraient que paralyser l’intégration », a résumé le député CDU Wolfgang Bosbach.
Même les représentants des Turcs en Allemagne ont critiqué les propos de M. Erdogan. Régulièrement, des études soulignent le taux d’échec scolaire élevé des migrants turcs. Sous l’égide de Mme Merkel, un plan d’intégration avait été adopté en juillet 2007. La présence aux côtés de la chancelière en Turquie de la responsable gouvernementale pour les questions d’intégration, Maria Böhmer, montre l’importance qu’accorde Berlin à ce sujet.
Il y a deux ans, lors d’un voyage du premier ministre turc en Allemagne, le sujet avait suscité des tensions entre les deux pays. M. Erdogan avait exhorté les Turcs à ne pas se laisser assimiler, suscitant un tollé dans la droite allemande.
Processus d’adhésion. Les négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne (UE) ont été officiellement ouvertes en octobre 2005. Elles ont abordé jusqu’à présent 12 des 35 chapitres.
Gel des négociations. Huit chapitres sont gelés du fait de la non-reconnaissance par Ankara de la République de Chypre, membre de l’UE. Paris s’oppose par ailleurs à l’ouverture de chapitres qui présupposent une adhésion : l’euro, l’agriculture, le budget, les institutions et la politique régionale.