C’est une première. Des défenseurs des droits de l’homme, intellectuels et artistes turcs ont commémoré publiquement samedi 24 avril à Istanbul les massacres d’Arméniens qui ont eu lieu entre 1915 et 1917. Ils brisent ainsi un tabou puisque la Turquie récuse la thèse d’un génocide défendue par les Arméniens.
Rassemblés sous le slogan « Plus jamais ça » sur les marches de la gare d’Haydarpasa d’où est parti le premier convoi de déportation, une centaine de manifestants ont rendu hommage aux Arméniens disparus. Encadrés par la police et suivis par une myriade de caméras, ils portaient des photos en noir et blanc de quelques-uns des déportés.
La police a tenu à bonne distance un groupe de contre-manifestants dont d’anciens diplomates qui arboraient des drapeaux turcs. Quarante-deux diplomates turcs ont été assassinés par l’organisation extrémiste arménienne Asala dans les années 1970 et 1980.
Une autre manifestation doit avoir lieu à 18 heures (heure de Paris) sur la place Taksim, au cœur de la partie européenne d’Istanbul. Des intellectuels et artistes ont signé une pétition appelant « tous ceux qui ressentent cette grande douleur » à manifester leur deuil. Pour ne pas heurter, le texte évoque la « Grande catastrophe », mais évite le terme de « génocide ». Malgré cette précaution, les organisateurs redoutent que des incidents ne viennent perturber les cérémonies. « Toutes les mesures préventives ont été prises mais il y a toujours des excités », a indiqué Cengiz Aktar, un universitaire d’Istanbul.
« POLITIQUE DE MÉMOIRE »
« La Turquie essaie de mettre en place une politique de mémoire, malgré le langage officiel » qui rejette catégoriquement le terme de génocide, explique M. Aktar, chercheur à l’Université de Bahçesehir. Il estime que « les tabous brisés ne concernent pas seulement l’Arménie mais d’autres sujets occultés, comme la question kurde ».
En 2005, l’écrivain et prix Nobel de littérature Orhan Pamuk s’était attiré les foudres de la justice pour avoir déclaré : « un million d’Arméniens et 30 000 Kurdes ont été tués sur ces terres ». Deux ans plus tard, le journaliste arménien Hrant Dink a été assassiné à Istanbul. La participation massive des Turcs à ses obsèques avait ouvert la voie à une remise en question de l’histoire officielle qui parle de « massacres mutuels ».
FROID ENTRE ANKARA ET EREVAN
La semaine dernière, le président arménein Serge Sarkissian a déclaré que son pays gelait la ratification d’accords historiques de normalisation avec Ankara, accusé de poser des conditions inacceptables.
Les Arméniens qualifient de génocide les persécutions et déportations, de 1915 à 1917, qui ont fait selon eux 1,5 million de morts. France et Canada font partie des pays ayant reconnu l’existence du génocide.
La Turquie reconnaît qu’entre 300 000 et 500 000 personnes ont péri mais, selon Ankara, elles n’ont pas été victimes d’une campagne d’extermination mais du chaos des dernières années de l’Empire ottoman. La Turquie affirme aussi que des dizaines de milliers de Turcs ont été massacrés par les nationalistes arméniens qui se sont alliés à l’ennemi russe lors de la Première guerre mondiale, avant la décision du gouvernement ottoman de déporter les Arméniens vers la Syrie.