Avec l’apparition des grandes surfaces et l’arrivée de marques occidentales à la mode, les comportements changent. Les entreprises étrangères investissent ce marché de 70 millions d’habitants. Pour faire face à cette concurrence, les sociétés locales se modernisent et adaptent leur stratégie.
Istanbul de notre correspondante
« Les Turcs ont un appétit énorme pour la mode et une image moderne. Ils veulent vivre mieux. » Umit Boyner est présidente déléguée du conseil d’administration de Boyner Holding. A l’origine compagnie de textile, cette société contrôle désormais plusieurs marques et chaînes de prêt-à-porter et domine le secteur de la mode en Turquie. Mme Boyner est formelle : la même énergie qui nourrit la candidature de son pays à l’Union européenne anime le secteur des biens de consommation. « Nous le voyons dans nos magasins », affirme-t-elle.
En Turquie, jusqu’à récemment, les épiciers de quartier et les marchés de rue fournissaient l’essentiel de l’alimentation, tandis que les Turcs achetaient leurs vêtements dans de petites boutiques. « En 1996, le marché était encore très fragmenté : 80 % des magasins ne dépassaient pas 100 000 dollars de chiffre d’affaires par an », explique Mme Boyner, qui estime la totalité du marché du prêt-à-porter en Turquie à 5 milliards de dollars (près de 4 milliards d’euros), dont 700 millions pour le groupe Boyner.
Puis sont apparus les premiers supermarchés, suivis des hypermarchés et des centres commerciaux - les « shopping malls » à l’américaine - qui accueillent des foules durant les fins de semaine. Ce développement n’en est qu’à ses débuts. Selon une enquête de PricewaterhouseCoopers, on ne compte en Turquie que 2 hypermarchés pour 1 million d’habitants, contre 15 en Europe occidentale. Aussi bien dans le domaine de l’alimentaire que de l’habillement, le potentiel de croissance est énorme pour les sociétés locales ainsi que pour les investisseurs étrangers, dans ce pays jeune où la croissance devrait se situer autour de 10 % à la fin de cette année.
« FAIRE PASSER UN MESSAGE »
Plusieurs marques étrangères de mode de grande diffusion, telles que Zara, Mango ou Marks & Spencer, ont investi ce marché de 70 millions d’habitants. Des entreprises de confection turques sont aussi parvenues à développer des marques populaires : les jeans Mavi ou Collins, la confection pour hommes Sarar ou Damat-Tween, Silk and Cashmere sont quelques-uns des noms qui sont parvenus à s’imposer.
« Etre une marque turque n’est pas un désavantage, estime Esel Çekin, directrice de la compagnie Beymen, une sous-division du groupe Boyner. Ce qui est important, c’est la relation entre la mode et le prix, ainsi que la fréquence du renouvellement des collections. Les consommateurs n’achètent rien dans un magasin qui leur offre simplement des produits. Il faut faire passer un message, un concept. Le magasin doit avoir une forte identité et vendre un style de vie. »
Ce désir d’être à la mode n’est pas limité aux grandes villes de la Turquie occidentale. Le mouvement de consommation s’est désormais étendu à l’Anatolie. Et avec l’urbanisation et le changement de style de vie, le consommateur turc, armé de cartes de paiement, est devenu de plus en plus exigeant et sophistiqué. « La démocratisation du luxe qui s’est produite dans d’autres pays a touché la Turquie très rapidement, »observe Mme Boyner.
Pour s’assurer la loyauté de consommateurs dont le comportement changeait rapidement, les entreprises turques ont développé de nouvelles stratégies vers la fin des années 1990. « Nous avons été les premiers à garantir la reprise de la marchandise si le client n’était pas satisfait, raconte la dirigeante du groupe Boyner. Nous avons également introduit, en 1999, la première carte de magasin en Turquie -la carte Advantage-. Nous avions 500 000 cartes, dont le taux d’utilisation était très élevé.-Ce système, qui n’existait nulle part ailleurs dans le monde à l’époque, a donné un énorme pouvoir d’achat à nos clients et nous a permis de surmonter la crise. »
La carte Advantage, qui pouvait aussi être utilisée dans plusieurs établissements n’appartenant pas à la compagnie, a été revendue à la banque HSBC. Mais le modèle qu’elle avait instauré, qui permet de payer par tranches allant de trois à dix-huit mois, sans frais supplémentaires, a été-copié par les banques locales. Après la restructuration du secteur financier sous la houlette du Fonds monétaire international (FMI), celles-ci ont en effet concentré leurs activités sur le service aux particuliers.
Dans le domaine de l’alimentation, les habitudes des consommateurs sont très différentes de ce qu’elles étaient il y a une décennie, même si la part des petits commerces, en déclin, demeure importante, en comparaison avec l’Europe occidentale. Plusieurs compagnies étrangères sont déjà bien implantées en Turquie : Carrefour, qui a formé en 1996 une alliance avec Sabanci Holding, possède aujourd’hui une dizaine d’hypermarchés et plusieurs supermarchés Champion dans le pays, alors que le groupe allemand Metro a ouvert neuf magasins Cash and Carry et sept supermarchés Real.
IMPLANTATIONS À L’ÉTRANGER
L’enseigne locale Migros, leader du secteur, accueille 120 millions d’acheteurs dans ses 453 magasins en Turquie. Elle se présente sous divers formats pour répondre aux besoins diversifiés du public. Les supermarchés Migros existent ainsi en trois tailles différentes. La société, qui appartient au groupe industriel Koç, exploite aussi des centres commerciaux, qui abritent d’autres magasins, et elle a créé une chaîne séparée, Sok (Choc), pour les produits à bon marché, l’équivalent du hard discount local. Migros, enfin, livre des commandes passées par Internet dans neuf grandes villes de Turquie.
« En l’espace de cinq ans, Migros a doublé le nombre de ses magasins, accru sa surface de vente de 80 % et son chiffre d’affaires de 59 % en Turquie, précise-t-on au siège de la société. Compte tenu des facteurs démographiques dans la zone d’opération de Migros et le faible taux de pénétration du marché, la compagnie est capable de maintenir ce profil de croissance à deux chiffres sur le long terme. »
Ce succès a permis à Migros de s’aventurer à l’étranger : la compagnie exploite 37 magasins sous l’enseigne Ramstore en Russie, en Azerbaïdjan et en Bulgarie. Son chiffre d’affaires consolidé, en Turquie et à l’étranger, devrait atteindre 1,8 milliard de dollars à la fin de l’année. A son tour, le groupe Boyner prévoit de s’implanter en Russie et en Europe de l’Est.