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Arménie-Turquie : une réconciliation en suspens

lundi 22 février 2010, par Guillaume Perrier

Quatre mois après la signature, en octobre 2009 à Zurich, d’un protocole d’accord entre la Turquie et l’Arménie, sous le patronage de la Suisse, l’espoir d’une normalisation rapide des relations entre les deux voisins s’est déjà envolé. Ni le Parlement arménien ni l’Assemblée nationale turque n’ont encore approuvé le texte, qualifié, à l’époque, d’« historique » par l’ensemble des diplomaties mondiales. Selon cet accord, les deux pays devaient établir des relations officielles, inaugurer des ambassades et, à terme, rouvrir leur frontière commune, fermée depuis 1993. Mais à Ankara comme à Erevan, le processus est mis en suspens. L’Arménie a annoncé, le 12 février, que les protocoles ont été transmis au Parlement. Mais elle a précisé que la ratification ne pourrait pas intervenir avant que la Turquie ne se soit d’abord prononcée.

Passé l’enthousiasme de la signature, les négociations sont entrées dans une phase marquée par des « déceptions réciproques », selon l’analyste Aybars Görgülü. La Turquie, qui avait condamné sa frontière avec la jeune République d’Arménie, en 1993, en représailles à la sécession du Haut-Karabakh, une province majoritairement peuplée d’Arméniens et rattachée à l’Azerbaïdjan par Staline, réclame des contreparties pour sa réouverture.

« Sans une solution au Karabakh, nous ne pouvons pas ratifier les protocoles », a lancé le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, fermant la porte à un accord rapide. Le ministre des affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, persiste à lier la réussite de ce rapprochement à des concessions arméniennes sur le Karabakh, bien que les accords d’octobre 2009 n’en fassent pas mention. Début février, il a laissé planer la menace d’un échec si les négociations n’étaient pas « menées de manière appropriée ».

La Russie et les Etats-Unis exhortent Turcs et Arméniens à accélérer leur rapprochement. Les grandes puissances veulent éviter un nouvel embrasement du sud du Caucase, fragilisé par la crise géorgienne de l’été 2008. Mais le conflit du Karabakh, gelé depuis seize ans et qui a fait plus de 30 000 morts, entrave la pacification de la région. En dépit de la médiation du groupe de Minsk - coprésidé par la Russie, les Etats-Unis et la France -, les discussions ne progressent guère. En Azerbaïdjan, comme à Erevan, la question reste brûlante. Le président arménien, Serge Sarkissian, est originaire du Karabakh et il en dirigeait les comités d’autodéfense, au début des années 1990.

En faisant marche arrière, la Turquie montre sa dépendance vis-à-vis de Bakou. L’Azerbaïdjan, de langue et de culture turque, est un allié traditionnel de la Turquie et un de ses principaux fournisseurs de gaz naturel. Les initiatives du grand frère turc, flirtant avec l’Arménie, ont jeté une ombre sur l’alliance. En Turquie, l’opposition nationaliste et kémaliste est aussi montée au créneau contre cette « trahison », appelant à la solidarité panturque avec les Azéris : « Un peuple, deux Etats ». Surtout, la richesse des gisements de la mer Caspienne donne un argument de poids au clan Aliev, au pouvoir depuis vingt ans en Azerbaïdjan. Le pays, à la source de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan et du gazoduc Nabucco, s’avère stratégiquement incontournable. Bakou fournira 6 milliards de mètres cubes de gaz à la Turquie, en 2010.

En Arménie, les réticences se sont renforcées et la sincérité de la démarche de la Turquie est sérieusement mise en doute. L’accord de 2009 prévoit la création d’une commission historique, chargée d’examiner « de manière scientifique et objective » les pages sombres de l’histoire. Mais elle est souvent perçue par les Arméniens comme une manœuvre turque pour tenter d’atténuer la réalité du génocide.

Le 12 janvier, la Cour constitutionnelle arménienne a rendu un avis favorable sur les protocoles signés en octobre. Mais elle a rappelé qu’ils ne pourraient en aucun cas contredire la Constitution et la déclaration d’indépendance arménienne qui mentionne « le devoir de réalisation de reconnaissance internationale du génocide de 1915, en Turquie ottomane et en Arménie occidentale ». La Turquie juge cette référence historique « inacceptable ».

La question du génocide, que la position officielle turque qualifie toujours de « massacres réciproques », pourra difficilement être éludée, si Ankara souhaite une sincère réconciliation avec son voisin. Pour le moment, la Turquie voudrait inciter l’Arménie à mettre ses revendications en veilleuse. Comme chaque année, la diplomatie turque se crispe à l’approche du 24 avril, la date anniversaire du déclenchement du génocide de 1915, lancé par l’arrestation, à Istanbul, de centaines de dignitaires arméniens. Ankara s’inquiète du lobbying de la diaspora arménienne aux Etats-Unis et d’une possible reconnaissance officielle par le Congrès américain.

Le 4 mars, le comité des affaires étrangères de la Chambre se prononcera sur une résolution démocrate, qualifiant de « génocide » les massacres de 1915. M. Davutoglu a manifesté son agacement à James Steinberg, secrétaire d’Etat adjoint, le 6 février, à la conférence de Munich sur la sécurité internationale. En 2007, un vote du Congrès avait été évité au dernier moment, désamorçant un risque de crise dans les relations américano-turques.

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Sources

Source : Le Monde, 18.02.2010

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