Dix-huit militaires ont été interpellés en Turquie, vendredi 26 octobre, portant à quarante-neuf le nombre de personnes arrêtées en une semaine dans le cadre de l’enquête sur un complot présumé contre le gouvernement en 2003. Onze des trente et un militaires à la retraite ou en activité arrêtés en début de semaine ont déjà été mis en détention préventive par un tribunal d’Istanbul.
Cette offensive judiciaire d’une ampleur inédite contre l’armée a attisé les tensions entre partisans du gouvernement de l’AKP et l’opposition : l’armée se considère en Turquie comme la garante du régime laïque tandis que l’AKP, issu de la mouvance islamiste, est accusé par ses opposants de vouloir islamiser la Turquie.
Alors que la vague d’arrestations était en cours, vendredi matin, le premier ministre Recep Tayyip Erdogan a balayé les critiques de l’opposition selon lesquelles son parti, l’AKP, devenait de plus en plus autoritaire et tentait de discréditer l’armée. « Ceux qui préparent des plans en secret pour écraser la volonté du peuple doivent se rendre compte qu’à partir de maintenant ils devront affronter la justice. (...) Personne n’est au-dessus des lois. Personne ne peut jouir de l’impunité », a lancé le premier ministre lors d’un rassemblement de l’AKP sans toutefois mentionner directement l’affaire. « Ce qui est train de se passer aujourd’hui, c’est la normalisation. (...) Il s’agit des progrès que nous faisons en tant que démocratie avancée (...) La direction prise par la Turquie est évidente. (...) La Turquie est en train de progresser sur le chemin de l’accession à l’Union européenne. »
« PROBABLEMENT UN PROCESSUS DE REVANCHE POLITIQUE »
Les commandants de l’armée ont, eux, fait état d’une « situation grave » à l’issue d’une réunion extraordinaire qu’ils ont tenue pour discuter de l’enquête. Selon la presse turque, le complot auquel les gradés interpellés sont accusés d’avoir participé, aurait été planifié en 2003. Il aurait notamment consisté à semer le chaos dans les rues d’Istanbul en posant des bombes dans des mosquées et des musées, le but étant de démontrer l’incapacité de l’AKP au pouvoir à protéger la population turque, afin de justifier un éventuel coup d’État. Ils sont également soupçonnés d’avoir voulu abattre un avion de chasse turc pour provoquer un conflit armé avec la Grèce afin, là encore, de déstabiliser le gouvernement.
PLUSIEURS COMPLOTS PRÉSUMÉS CONTRE LE GOUVERNEMENT
L’armée a toujours assuré que les documents qui servent à l’accuser faisaient partie d’une procédure d’entraînement et n’étaient en aucun cas destinés à déstabiliser le gouvernement. Parmi les militaires arrêtés, l’ex-général Cetin Dogan est désigné comme l’instigateur supposé du plan. Il a nié toute implication, indiquant qu’il s’agissait d’un « jeu de stratégie » militaire conçu à l’époque où il portait l’uniforme. L’état-major, qui a rejeté les accusations et dénoncé une campagne de dénigrement, a bien reconnu l’existence d’un plan, mais a également évoqué un « scénario » de « wargame » imaginé en 2003 comme simple procédure d’entraînement.
Les deux grands partis d’opposition, victimes de putschs militaires dans le passé, ont pointé du doigt le gouvernement. Le chef de l’opposition laïque, Deniz Baykal, s’est interrogé sur le moment choisi pour la rafle menée à partir d’allégations remontant à sept ans et qui ne se sont jamais concrétisées. « C’est visiblement un processus de revanche politique », a-t-il estimé. Une allusion au fait que la plupart des cadres de l’AKP étaient membres d’un parti pro-islamiste interdit par la justice en 2008 après avoir été chassé du pouvoir par l’armée l’année précédente.
Plusieurs complots présumés contre le gouvernement ont été mis au jour, provoquant une succession de procédures judiciaires qui ont attisé les tensions entre les partisans du gouvernement, accusé d’avoir un plan caché d’islamisation du pays, et ses opposants. Mais l’armée, qui a déposé quatre gouvernements depuis 1960, avait récemment déclaré par la voix de son chef, le général Basbug, que le temps des coups d’Etat était révolu.