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Turquie : l’inexorable déclin de l’une des meilleures armées au monde

mercredi 17 mars 2010, par Cyriel Martin

Un mois de perquisitions, des dizaines de militaires arrêtés, un vaste complot révélé... L’armée turque vient de subir l’un des pires revers de son histoire en ce début d’année 2010. La police a mis à jour un gigantesque projet de conspiration visant à renverser, en 2003, le gouvernement du Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir depuis 2002. Piqué au vif, l’état-major s’est défendu de toute « action illégale » le 22 janvier dernier. Les faits sont pourtant avérés et le Premier ministre turc n’a pas caché sa colère : « Ceux qui préparent des plans en secret pour écraser la volonté du peuple doivent se rendre compte qu’à partir de maintenant, ils devront affronter la justice. (...) Personne n’est au-dessus des lois », a prévenu Recep Tayyip Erdogan vendredi.

Des positions tranchées qui témoignent de l’acidité des relations entre les militaires turcs et les membres de l’AKP. Les premiers, historiquement garants du régime laïc, accusent les seconds, issus de la mouvance islamiste, d’orchestrer ces opérations dans le but non avoué d’islamiser la Turquie. Une manœuvre à laquelle refuse de croire Didier Billion, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). « Il n’y a pas d’agenda caché de l’AKP consistant à islamiser la Turquie », affirme ce spécialiste de la Turquie. « Oui, de plus en plus de femmes portent le voile », reconnaît-il, avant de couper court à toute sur-interprétation du phénomène : « Mais l’AKP n’a jamais pris de mesures attentatoires à la laïcité », constate-t-il. Et d’expliquer : « Comme tout parti au pouvoir, l’AKP essaie simplement de placer ses hommes dans l’appareil d’État. » Au détriment de l’armée, donc, et de ses « élites autoproclamées », selon la formule de Didier Billion.

L’Union Européenne en ligne de mire

Car en Turquie, l’armée - forte de 510.000 hommes - est une institution à part entière. Avec pour faits d’armes d’avoir renversé quatre gouvernements depuis 1960, elle est la seule du monde occidental à avoir gardé des prérogatives importantes sur la vie politique du pays. Au sein du Conseil national de sécurité (MGK), la hiérarchie militaire participe à la définition des grandes orientations internationales, même si elle n’y joue plus le rôle prépondérant qu’elle avait jusqu’en 2003. Cette année-là, le Parlement turc décide de réduire le rôle politique des militaires, et ceci, non dans le but de faire reculer la laïcité, mais pour accélérer l’adhésion d’Ankara à l’Union européenne. Un objectif rappelé ce vendredi par Recep Tayyip Erdogan. « Oui, ce processus est douloureux, mais c’est pour le bien de notre peuple. (...) La Turquie est en train de progresser sur le chemin de l’accession à l’Union européenne », a lancé le chef du gouvernement turc, lors d’un rassemblement de l’AKP.

Une dynamique confirmée par Didier Billion. « Depuis l’ouverture des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, en 1999, le rôle de l’armée ne pouvait pas rester le même », explique le chercheur. « Ce qu’on n’avait pas prévu, c’était le rythme que tout cela allait prendre : ça va très vite », constate-t-il. « Ça ? » Des révélations en cascade, des scandales en tout genre, dont le dernier de ce début d’année 2010 n’en est que l’illustration, et qui ont considérablement affaibli l’image de prestige de l’armée turque. « Les militaires ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes », juge Didier Billion. Des dysfonctionnements de taille au sein d’une armée pourtant considérée comme l’une des mieux entraînées et aguerries du monde, deuxième en effectifs après les Américains dans l’Otan. Elle participe à des missions internationales de maintien de la paix en Somalie, au Liban, au Kosovo et en Afghanistan. Sans compter sur son importance sur la scène intérieure : la question kurde n’est pas réglée", prévient le chercheur de l’Iris. Autrement dit, l’AKP a besoin de l’armée.

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Sources

Source : Le point , 26 fevrier 2010

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