Lundi, le secrétaire général de l’ONU a tenu des pourparlers sur l’île pour relancer le processus de paix. Du côté grec, on espère une vraie coopération avec la Turquie
Une visite de l’espoir.
par Stéphane Bussard
Lundi, le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon a entamé une série de pourparlers avec les responsables politiques de Chypre – le dirigeant chypriote turc Mehmet Ali Talat et son homologue chypriote grec Demetris Christofias – pour mettre fin à un conflit politique qui mine l’île d’un million d’habitants depuis des décennies. Chypre étant divisée politiquement depuis 1963 et militairement depuis 1974 après le coup manqué orchestré par la Grèce et l’invasion par l’armée turque du nord de l’île, Ban Ki-moon s’est dit malgré tout « confiant » et a déclaré qu’une « solution est possible et à portée de main ».
Les tentatives de réunifier l’île n’ont pourtant pas manqué. Au cours des seize derniers mois, les Chypriotes grecs (80% de la population) et turcs (20%) se sont rencontrés à plus de 60 reprises sans toutefois réussir à sortir le processus de paix de l’ornière. En 2004, un plan de paix de l’ONU visant à faire de Chypre une fédération de deux Etats avec un gouvernement central, fortement soutenu par l’Union européenne et les Etats-Unis, avait été refusé par la partie chypriote grecque.
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Les questions qui empêchent une vraie percée sont toujours les mêmes : droits de propriété, sécurité et ajustements territoriaux. Les pourparlers pourraient par ailleurs subir un coup de frein en raison des élections d’avril pour la présidence de la République turque de Chypre. L’actuel président Mehmet Ali Talat remet son mandat et il n’est pas exclu qu’il soit remplacé par un représentant des nationalistes chypriotes turcs opposés à une réunification de l’île. Les deux parties espèrent néanmoins résoudre le problème chypriote avant la fin de l’année.
Vu de Grèce, le dossier reste l’une des principales pommes de discorde entre Athènes et Ankara. Il met en relief les relations complexes qu’entretiennent les deux pays. Et preuve que les deux Etats de « tutelle » ne peuvent pas se désintéresser du conflit : aujourd’hui à Chypre, il y a toujours autant de drapeaux grecs dans la partie chypriote grecque que de drapeaux turcs dans la partie chypriote turque. L’inquiétude relève de la conjoncture : le conflit larvé entre l’armée et le pouvoir turcs ainsi que la grave crise financière grecque pourraient compliquer les négociations.
Récemment, le premier ministre grec Georges Papandréou était sur le point d’annoncer qu’il voulait inviter son homologue turc Recep Tayyip Erdogan à Athènes, mais ce dernier lui a brûlé la politesse en annonçant lui-même la même intention. Président de la Hellenic Foundation for European and Foreign Policy, Loukas Tsoukalis ne s’en cache pas. « La position grecque par rapport à la Turquie est délicate. D’un côté, les autorités politiques et l’opinion publique ont bien compris que l’intérêt de la Grèce à long terme est d’avoir comme voisine une Turquie démocratique, développée et appartenant à l’Union européenne. Athènes soutient l’adhésion d’Ankara à l’UE pour autant qu’il accepte l’acquis communautaire. Mais aussi qu’il permette de régler les différends bilatéraux à court terme. »
Parmi les contentieux les plus lourds figurent la délimitation d’un plateau continental et les survols par l’armée de l’air turque en mer Egée qui ne contribuent pas à créer la confiance. « Le problème, relève Loukas Tsoukalis, c’est qu’on ne sait pas si ces survols sont de la responsabilité du gouvernement ou de l’armée qui viserait à déstabiliser le pouvoir turc. »
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A ce propos, le 20 janvier, le journal turc Taraf relatait une tentative de coup militaire qu’aurait fomenté en 2003 l’armée turque pour déstabiliser le gouvernement Erdogan. Selon un scénario décrit dans un document de 5000 pages, l’armée turque aurait volontairement fait s’écraser l’un de ses avions de chasse en mer Egée afin de porter le blâme sur la Grèce, d’accroître les tensions avec Athènes et de montrer qu’Erdogan était incapable d’assurer la sécurité du pays. Les responsables militaires turcs ont confirmé l’existence du document, mais précisé qu’il ne servait qu’à un entraînement et que le scénario n’était pas censé être mis en œuvre.
Vice-ministre grec des Affaires étrangères, Spyros Kouvelis ne perd pas espoir de rapprocher les deux pays et de résoudre la question chypriote : « Avec une plus grande coopération entre Grèce et Turquie, l’économie s’en sentira mieux et nous pourrons réduire nos dépenses d’armement pour les consacrer à l’éducation ou à la recherche. »